Nouvelle tentative pour amortir le choc de la réforme de la tarification dans certains EHPAD. Après avoir débloqué une enveloppe de 50 millions d'euros en janvier pour les établissements en difficulté, la ministre des Solidarités et de la Santé entend engager un travail "d'ajustement" qui pourrait aboutir à une modification du décret de 2016.
Effets pervers de la réforme de la tarification : du déni à l'action
La fin du dialogue de sourds ? Lors de son audition, le 7 mars 2018, devant la Commission des affaires sociales du Sénat, Agnès Buzyn, la ministre des Solidarités et de la Santé, a reconnu que les impacts de la réforme de la tarification dépendance « sont plus importants lorsqu'on les analyse au niveau des établissements que lorsqu'on les étudie par grandes masses ou par catégories ».
Le changement de discours est radical. En décembre dernier, cette même ministre jugeait que ce serait « une erreur » de « réduire le problème des EHPAD à un problème de tarification », considérant que « dans certaines structures, notamment publiques, le management n'est pas bon ».
A l'occasion des Assises nationales des EHPAD, le 13 mars, Agnès Buzyn a admis dans son discours que la réforme de la tarification est « un sujet de préoccupation ». Exit la macroéconomie, les premiers retours de Pierre Ricordeau, inspecteur général des affaires sociales, nommé médiateur début février, afin d'expertiser « les effets de la réforme » semblent aller dans le sens des préoccupations exprimées - depuis des mois - par les fédérations du secteur (FHF en tête).
« Même si très peu d'établissements perdent des recettes à la fois au titre du soin et de la dépendance1, le nombre d'établissements qui sortent avec une recette globalement réduite sur sept ans est significatif, environ 20 à 25%, avec bien sûr des niveaux de perte tout à fait variables, parfois très faibles, parfois plus significatifs. En effet, les améliorations au titre de la convergence soins sont parfois inférieures aux pertes au titre de la convergence dépendance », a déclaré la ministre. En clair, la fongibilité budgétaire entre les dotations soins et dépendance, possible dans le cadre de la réforme de l'état prévisionnel de recettes et de dépenses (EPRD) ne suffirait pas à compenser les pertes de budgets sur le volet dépendance subies par certains établissements. Conclusion : il y a bel et bien de grands perdants.
« Cette réforme tarifaire a été mûrement débattue et réfléchie pendant trois ans avec les parties prenantes et les départements. Il me semblait difficile, dès mon arrivée, de jeter aux orties cette réforme, à peine mise en oeuvre, et qui semblait faire consensus », a réaffirmé la ministre des Solidarités et de la Santé devant les sénateurs.
Si Agnès Buzyn demeure complètement réfractaire à toute idée d'abrogation -ou de moratoire- de la réforme de la tarification, elle a annoncé, lors des Assises nationales des EHPAD, « une pause dans la convergence à la baisse de la dépendance». En clair : pas question de « remettre en cause les fondements de la réforme », l'idée serait de trouver à « très court terme » un mécanisme qui permette de « neutraliser les effets négatifs », par exemple en compensant pendant une période qui sera déterminée, « un an ou deux ans », les pertes de recettes pour les EHPAD en difficulté.
Une solution avec les départements ?
Sous la houlette du médiateur Pierre Ricardeau, les fédérations et les départements devraient réfléchir à des propositions. Il va sans dire que l'implication des conseils départementaux dans ce travail sera essentielle puisque le coeur du problème est la forte hétérogénéité des points GIR départementaux, l'une des données de l'équation tarifaire du forfait dépendance.
Ce travail pourra conduire le cas échéant à « des ajustements de la réforme elle-même » et « à une modification du décret », a précisé la ministre. Des annonces saluées par les représentants des EHPAD publics hospitaliers. Ainsi, le Syncass-CFDT, syndicat de directeurs, s'est satisfait de « la fin du déni de réalité quant à la situation des établissements ». La Fédération hospitalière de France (FHF) a apprécié cette « prise de conscience des pouvoirs publics», « une évolution du discours et de premiers actes ».
Autre signe de bonne volonté, Agnès Buzyn a reçu les représentants de l'intersyndicale et l'AD-PA2, le 15 mars, nouvelle journée de mobilisation nationale des EHPAD (ce qu'elle avait refusé de faire le 30 janvier. A l'issue de cette rencontre, la ministre a indiqué, dans un communiqué, avoir ouvert « un cadre de travail en commun avec l'Assemblée des départements de France sur les sujets du financement et du pilotage de la dépendance ». Dans une interview accordée au Journal du dimanche, le 18 mars, la ministre a précisé que « ce n'est pas à l'État seul de s'attaquer à ce chantier », mais qu'il faut au contraire « ouvrir un débat de société avec les départements pour savoir combien nous voulons collectivement consacrer à la prise en charge de nos aînés. »
Enfin, la ministre a réaffirmé qu'elle présenterait fin mars une feuille de route pour sa politique concernant le vieillissement de la population, pour déterminer, d'ici l'été, les actions et mesures précises à engager dès cette année. Du côté du acteurs du secteur du grand âge, les attentes sont très fortes pour mettre fin à "la politique de la rustine".