Dans le n° 13-octobre 2011  422

Enfant " bruyant ", parent souffrant

Certains enfants de résidents ont des comportements que les psychologues nomment " bruyants " : présence excessive, impatience, exigences,... Les comportements de l'enfant bruyant ou enfant symptôme nuisent à la prise en charge. Eclairages de Myriam Faulon-Lizé, psychologue et chercheuse.

Les enfants des résidents mettent parfois en place une relation d'aide problématique. Repérer les comportements débordants, les comprendre pour ensuite les faire évoluer peut résoudre ou améliorer la situation.

Repérer

Dans cet EHPAD, Madame D., fille de Madame X, pourrait passer pour une fille modèle. Elle vient souvent voir sa mère, parfois même en dehors des horaires de visite et reste longtemps. Madame D. est très anxieuse et entoure sa mère de toutes les attentions. Elle sollicite beaucoup les équipes, affiche des exigences irrationnelles et au moindre délai, demande à voir la direction. Elle est souvent épuisée. Cette situation, tous les directeurs la connaissent. Les psychologues, spécialistes de l'analyse systémique, donnent à Madame D. un autre nom : dans la dynamique familiale, elle est " l'enfant-symptôme ", dit aussi " enfant bruyant ". Les comportements de l'enfant-symptôme sont parfois débordants et nuisent à la bonne prise en charge de la personne par l'équipe. Il fait les choses à la place du parent ou des équipes, s'immisce dans les pratiques ou entoure son parent de telle façon que les équipes ne peuvent plus approcher la personne âgée. De plus, son énergie et de sa disponibilité le conduisent souvent à présenter des symptômes d'épuisement. A ce stade, l'aide apportée n'en est plus une... l'épuisement perturbe la relation car le parent ressent le stress de son enfant. Et si le parent souffre de troubles cognitifs ou psycho-comportementaux, ceux-ci risquent de s'aggraver ou de démultiplier l'intensité des symptômes dépressifs.

Comprendre

Que faire alors ? Peut-être d'abord comprendre. Les comportements de l'enfant-bruyant ont une raison d'être : ils font écho à sa souffrance et à celle de sa famille. Mais attention, l'origine de cette souffrance est à appréhender avec une grande prudence. Diverses hypothèses sont envisageables. La première est que, enfant, la personne n'a pas pu initialement prendre correctement sa place au sein de la dynamique familiale. Aussi, au décours du vieillissement des parents, il investit une nouvelle place au plus proche de ces derniers. C'est alors pour l'enfant adulte la proximité qui est recherchée. La deuxième est que la séparation Parent/enfant ne s'est pas opérée dans de bonnes conditions et que le lien aux parents est resté fusionnel. L'idée de déléguer la relation d'aide peut alors s'avérer insupportable pour l'aidant naturel. D'autre part, au détour de la perte d'autonomie, une inversion générationnelle s'installe. Le parent peut ne plus tenir son rôle de parent et la tentation est forte alors de l'infantiliser. Cette attitude peut servir le lien fusionnel. Dans d'autres cas, la fusion apparente peut recouvrir des comportements plus ou moins bienveillants au travers desquels peuvent s'exprimer des pulsions agressives mal contenues. Qui sait, violences affectives ou psychologiques, ce qui s'est passé dans la famille il y a quarante ou cinquante ans ? Autre hypothèse, celle de la dynamique familiale qui peut abriter des conflits larvés. Certains frères et soeurs se déchargent alors de la relation envers le parent sur un membre de la fratrie. Ce " pacte familial " s'impose comme une évidence : l'enfant désigné habite près (ou moins loin) de l'EHPAD, il est plus disponible,... et doit assumer un rôle qu'il n'a pas choisi. En résumé, si l'objectif rationnel du comportement de l'enfant-symptôme est le bonheur de son parent, le comportement d'aide peut parfois cacher des bénéfices secondaires.

Agir

Le directeur doit d'abord réunir les équipes (de l'auxiliaire de vie au médecin-coordonnateur) autour du psychologue pour poser clairement la problématique. Ensuite, il cherchera, dynamique familiale oblige, à rencontrer la famille. Il peut ainsi lancer une invitation à parler du projet personnalisé du parent, et au détour de la discussion, aborder un autre sujet. L'épuisement est également une bonne porte d'entrée. Le directeur invite alors " l'enfant bruyant " à rencontrer la psychologue, qui écoutera la souffrance et saura travailler avec la personne sur ses limites. Ce travail délicat s'appuie sur un pré-requis : la relation de confiance entre la famille et les équipes. Cette relation de confiance est à installer dès la visite de pré-admission. L'enfant-symptôme est d'ailleurs repérable dès la première rencontre : anxiété, questions nombreuses et très précises,... Ce n'est que qu'au bout de trois ou quatre mois, quand la relation de confiance sera établie, que le directeur pourra mettre en place une stratégie.

La stratégie repose sur le respect des rôles de chacun. Le directeur rappelle les règles (horaires de visite, tâches réservées aux aides-soignantes et autres soignants,...), le psychologue, lui, accueille la souffrance en prenant soin de prendre la famille où elle en est, sans généraliser. Il faut accompagner l'enfant adulte... en sachant qu'il peut refuser. La bientraitance de la personne âgée est en jeu.

Marie-Suzel Inzé

* Analyse systémique : démarche globale s'attachant davantage aux échanges entre les parties du système qu'à l'analyse de chacune d'elles

Biographie express

Myriam Faulon-Lizé est psychologue clinicienne et spécialisée en géronto-psychologie. Elle contribue aux travaux de recherche du laboratoire de psychologie clinique et psychopathologique de l'institut de psychologie de l'université Paris-Descartes. Elle concentre ses travaux sur la désagrégation identitaire et les modifications des états de conscience de soi chez la personne atteinte de la maladie d'Alzheimer. Elle intervient à l'hôpital de Jour Les Magnolias dans l'Essonne et dans un EHPAD du groupe Korian. Elle donne aussi des cours à Paris V.

A lire :

- BELLEMARE L, (2000). L'approche systémique : une affaire de familles. Revue Québécoise de Psychologie, 21, 1, 75-91.

- FLAVIGNY C., (2011), L'infantile, l'enfantin, les destins de la filiation, Paris, Le Fil rouge, PUF.

- FREUD S., (1905), Trois essais sur la théorie sexuelle, Paris, Folio essais.

- FREUD S., (1926), Inhibition, symptôme et angoisse, Paris, PUF.

- KLEIN., (1957), Envie et gratitude et autres essais, Paris, Tel Gallimard.

- LACROIX, J.L. (1990). L'individu, sa famille et son réseau: les thérapies familiales systémiques. Paris: ESF.

- NAPIER, A. ET WHITAKER, C. (1978). Le creuset familial. Paris : Éditions Robert Laffont.

- VERDON B. (2011), Familles en silence, familles à distance, familles en souffrance? A propos de l'inhibition en clinique gériatrique, Revue de Psychothérapie psychanalytique de groupe, 56, 187-199.

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