La stratégie gouvernementale Ma santé 2022 cite parmi les mesures phares en faveur de la qualité et de la pertinence des soins l'élargissement de la mesure de la satisfaction et de l'expérience patient/résident, en soins de suite et de réadaptation, en EHPAD et en hospitalisation à domicile. Mais comment recueillir cette parole ? Et en faire un levier d'amélioration des pratiques ?
Entendre « l'expérience résident »
« L'expérience patient est un modèle qui fonctionne et qui transforme. Nous connaissons aujourd'hui son impact sur l'évolution de la pratique médicale ou encore sur les relations entre soignants et patients », souligne Thierry Calvat, sociologue et co-fondateur du Cercle Vulnérabilités et société1. La transposition de ce modèle dans le champ médico-social, et plus particulièrement en EHPAD, est d'autant plus évidente pour lui que « les niveaux de perception des professionnels et des résidents sont sans doute plus différenciés que dans le champ sanitaire. Ce serait l'occasion de renforcer le regard du professionnel en l'amenant à considérer le résident au-delà d'un corps affaibli mais comme un partenaire en capacité d'apporter une contribution. Cela étant précisé, l'enjeu majeur reste la collecte de cette expérience sachant que les personnes âgées dépendantes n'ont parfois pas l'habitude ou sont moins en capacité d'exprimer leur ressenti ». L'une des solutions pourrait être de faire appel à un tiers observant : aidant ou soignant. « L'expérience patient devrait aussi pouvoir être exprimée par l'aidant », confirme Thierry Calvat. Questionner ou écouter les aidants, lorsque le résident a des difficultés à s'exprimer, serait d'autant plus légitime que ceux-ci appréhendent au quotidien la réalité du vécu de leur proche comme l'attestent les résultats de l'enquête réalisée par le Cercle Vulnérabilités et société sur les lieux de vie et de prise en charge de la perte d'autonomie pour demain2. Loin des projections sur le plébiscite du tout domicile, une personne interrogée sur trois a placé l'EHPAD en première position (31,9%) devant le domicile (29,5%). « Notre parti-pris a été d'interroger mille aidants, dont une majorité étaient des femmes (70,5%) accompagnant majoritairement un parent résidant en EHPAD (85,2%). Les aidants témoignent d'une réalité et non d'un fantasme », souligne Thierry Calvat.
« Le patron, c'est le résident »
Au sein de Maisons de famille, l'attention portée au vécu des personnes accompagnées s'est traduite par la mise en place de résidents traceurs sur le mode des patients traceurs. Comme le souligne le Dr Eric Kariger, directeur médical du groupe « le résident est acteur de son projet de vie et de soins. Il est par essence expert de sa maladie chronique car la durée fait l'expérience qui produit la connaissance. Si le sujet du résident traceur a été abordé sous l'angle de l'évaluation de la qualité de la prise en charge, c'est un nouvel état d'esprit que nous souhaitons instaurer et qui repose sur trois convictions fortes : le respect du droit à l'autonomie, la reconnaissance de l'expertise des personnes accueillies et la volonté d'améliorer nos pratiques grâce à leur retour d'expérience ».
A titre d'exemple, cette méthode a ainsi permis de mieux prendre en charge la douleur chronique alors même que le respect des procédures et des indicateurs laissaient présager d'excellents résultats. « Nous avons identifié des marges de progrès. Si vous ne vérifiez pas auprès du résident que sa douleur est entendue, reconnue, prise en charge et que son traitement est régulièrement réévalué, vous perdez de vue la finalité de toute évaluation. Par ailleurs, notre méthodologie a évolué. Au départ, nous avions demandé aux équipes d'identifier les personnes avec lesquelles nous pourrions mener une conversation facilement avant de réaliser toute la richesse des retours d'information des résidents atteints de maladies démentielles accueillies en unités de vie protégées. Nous avons donc renoncé à cette pré-sélection car même les plus fragiles d'entre nous ont des choses à exprimer », poursuit le Directeur médical.
Changement de culture
Mise en place au sein de 16 établissements français du groupe, la méthode du résident traceur, qui s'inscrit en complémentarité des audits « traditionnels », s'est inspirée des trois temps du patient traceur : une analyse de dossier, un entretien avec le résident et des échanges avec l'équipe. La grille d'audit, élaborée par la Haute autorité de santé pour le patient traceur, a été adaptée aux enjeux du champ médico-social intégrant les sujets de l'admission en EHPAD, du projet personnalisé, de la liberté d'aller et venir, de l'accès aux soins palliatifs, de la nutrition, etc.
Mais pour obtenir des résultats efficients, le Dr Eric Kariger encourage aussi une acculturation préalable des professionnels. « Au départ, nombre d'entre eux me disaient « vous n'avez pas tiré au sort le bon résident ! », sous-entendant « Il va se plaindre ». Mais il faut savoir accepter la critique, ne pas la voir comme une remise en cause mais bien comme une marge potentielle d'amélioration. C'est un formidable outil de management pour l'ensemble de nos équipes sur la prise en charge globale. Si la note de séjour est en moyenne de 8/10 dans nos établissements, elle ne doit pas nous satisfaire. Écouter les résidents nous aidera à progresser. Ce sont eux nos patrons », conclut-il.