Le comité consultatif national d'éthique a rendu son avis début juillet en s'exprimant contre la légalisation de l'euthanasie et du suicide assisté. Il demande l'organisation d'un débat public avant le projet de loi sur la fin de vie qui devrait intervenir à la fin de l'année 2013.
Euthanasie et suicide assisté
Saisi par le chef de l'Etat dans la foulée de la remise du rapport Sicard (18 décembre 2012), le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) s'est prononcé, pour la majorité de ses membres, contre la légalisation de l'euthanasie réaffirmant ainsi son attachement à l'interdiction faite aux médecins de "provoquer délibérément la mort". Les Sages considèrent en effet que cette interdiction "protège les personnes en fin de vie... L'autorisation de l'aide active à mourir pourrait être vécue par des personnes vulnérables comme un risque de ne plus être accompagnées et traitées par la médecine si elles manifestaient le désir de poursuivre leur vie jusqu'à la fin."
Alors que le rapport Sicard entrouvrait la porte au suicide assisté, le CCNE, même si les avis en son sein ne sont pas unanimes, la referme au regard de l'exigence de solidarité et de fraternité, garante du vivre ensemble. Il s'appuie sur les termes du serment d'Hippocrate : "Je ne remettrai à personne du poison si on m'en demande, ni ne prendrai l'initiative d'une pareille suggestion", pour fonder un interdit structurant de la confiance que la personne peut avoir dans la société.
Des améliorations de la loi Léonetti
Outre la nécessité de faire cesser toutes les situations d'indignité qui entourent trop souvent la fin de vie et de rendre accessible à tous le droit aux soins palliatifs, le CCNE recommande trois évolutions majeures de la loi Léonetti. En premier lieu, le respect des directives anticipées émises par la personne. "A l'heure actuelle, écrit Jean-Claude Ameisen, président du CCNE, elles ne sont considérées par la loi que comme l'expression de souhaits, les décisions étant prises par les médecins." Le CCNE souhaite donc que la volonté du patient ait une valeur contraignante. Le comité demande aussi que le processus de délibération collective lorsque des décisions complexes doivent être prises en fin de vie (arrêt du traitement, extubation etc.) associe la personne malade ou ses proches ainsi que tous les professionnels du soin au delà des experts.
Enfin, et c'est l'un des points clefs de l'avis 121, le comité préconise que soit défini un droit des individus à mourir sous sédation s'ils le souhaitent et ce afin d'éviter de longues agonies après un arrêt des traitements.
L'organisation d'un débat public
En conclusion de son avis, le CCNE recommande l'organisation d'une consultation citoyenne, idée à laquelle souscrit François Hollande. Ce débat public pourrait avoir lieu à l'automne, avec un projet de loi probablement en fin d'année 2013. Le législateur tiendra-t-il compte de l'avis du CCNE ? Rien ne l'y oblige.
"La mort digne s'ancre dans la solidarité humaine"
Pour Marie de Hennezel, psychologue*, les conditions d'une mort digne exigent des Etats Généraux pour véritablement informer des moyens déjà existants pour améliorer la fin de vie. Interview.
Que pensez-vous de l'avis rendu par le CCNE du point de vue de la dignité des personnes âgées ?
Le CCNE se montre prudent quant à une avancée législative qui, sous couvert de protéger leur dignité, ouvrirait la porte à une légalisation de l'euthanasie ou du suicide assisté. Quand on parle de la dignité des personnes âgées, il faut se poser la question de la dignité de leur vie. Ces personnes sont-elles entourées, accompagnées? Ont elles le sentiment de faire encore partie de la communauté des humains? C'est cette dignité-là, de la vie de tous les jours, que nos pouvoirs publics se doivent de protéger. Comment? En améliorant la vie dans les établissements pour personnes dépendantes, en valorisant les métiers d'aide à la personne, en réintroduisant de la solidarité intergénérationnelle, en luttant de toutes ses forces contre l'isolement, et enfin en diffusant la culture palliative.
Aujourd'hui, les tenants du suicide assisté disent que les dérives sont impossibles, mais le lapsus récent d'un médecin belge, interrogé lors d'un reportage diffusé sur ARTE, montre que le suicide ne sera pas seulement " permis " mais " proposé " comme une solution. Le CCNE est manifestement conscient du danger de ces dérives.
Qu'espérez-vous d'un débat public comme il est prévu ?
Je crains malheureusement qu'il n'ait pas lieu ou qu'il soit escamoté. On lancera un sondage biaisé, avec des questions ambigües, qui révèlera que la majorité des Français sont pour la légalisation de l'euthanasie.
Un vrai débat demanderait à ce que la loi que nous avons, la loi Léonetti, soit expliquée et commentée pour qu'on sache ce qu'elle permet.
Un vrai débat demanderait à ce que les personnes âgées puissent s'exprimer. On serait surpris de découvrir que la loi Léonetti bien appliquée leur convient parfaitement.
Il demanderait à ce que l'inertie des pouvoirs publics soit dénoncée. Savez vous que 50% seulement des personnes qui auraient besoin de soins palliatifs reçoivent de tels soins? Alors que depuis 1999 l'accès aux soins palliatifs est garanti par la loi! Si la législation évolue, d'un côté, les gens informés, sauront trouver les structures capables de les accompagner jusqu'au bout de manière humaine et digne, de l'autre, les gens mal informés, isolés, désespérés se verront proposer la mort anticipée comme solution!
Qu'attendez-vous du gouvernement et que craignez-vous ?
Un gouvernement de gauche s'honorerait de ne pas prendre des décisions trop rapides, ni susceptibles de créer de nouveaux clivages dans la société. On sait que la plupart des médecins et des soignants sont opposés à une évolution de la loi dans le sens d'une légalisation de l'euthanasie ou du suicide assisté. Une nouvelle loi sera sans doute inapplicable. Comme le disait Robert Badinter, elle créera plus de zones d'ombre qu'il n'y en a déjà.
* Spécialiste des soins palliatifs et auteur de "Nous voulons tous mourir dans la dignité" aux Editions Robert Laffont