L'expulsion d'une résidante qui n'avait pas payé la mensualité de son hébergement en janvier 2013 est encore dans toutes les mémoires. Un tel cas est-il encore possible demain ? Quel est le statut de la personne hébergée, comment réagir en cas de carence du paiement ?
Expulsion hivernale d'un résidant pour défaut de paiement
Le coût de l'hébergement en EHPAD est de plus en plus montré du doigt sans pour autant que l'on recherche des moyens de financement durables...
Les maisons de retraite seraient de plus en plus inabordables...
39% des personnes âgées seulement pourraient assumer seules le coût de leur séjour selon une étude effectuée pour la Fédération Hospitalière de France.
Parmi ces 39%, 25% seraient même obligés de vendre tout ou partie du patrimoine pour pouvoir acquitter les 2.200 Euros mensuels réclamés en moyenne par les établissements.
Les familles peinent également à prendre en charge le coût du séjour...
Dès lors, qu'advient-il de la personne âgée dépendante confrontée à l'impossibilité de régler le coût du séjour.
1.L'affaire de l'expulsion hivernale d'une nonagénaire
Une maison de retraite à CHAVILLE avait "expulsé" le 4 janvier 2013 en plein hiver donc une nonagénaire qui, rapatriée au domicile d'un de ses enfant absent, s'était trouvée finalement aux urgences de l'hôpital de CHATEAUDUN.
Il ne s'agit évidemment pas de porter un jugement sur un cas particulier dont on ne connaît pas nécessairement toutes les données, ou de stigmatiser des comportements, mais d'essayer d'éviter les problèmes futurs.
On se souvient que la facture d'impayés s'élevait à près de 40 000,00 Euros, que la personne âgée avait quatre enfants dont un conseiller en gestion et un autre gynécologue; qu'il y a eu très vraisemblablement mésentente familiale et de multiples lettres recommandées avant que le directeur de l'établissement ne se décide à ce rapatriement en hiver dans des conditions pour le moins déplorables...
On se souvient de l'indignation de la Ministre, Madame Michèle DELAUNAY, qui avait fustigé le comportement de la maison de retraite agissant "en violation des droits et de la dignité humaine en expulsant une personne vulnérable sur décision du directeur à la veille d'un week-end en période hivernale..."
Le défenseur des droits s'était saisi de l'affaire (ancienne HALDE).
Les commentaires divers et variés ont été alimentés par la phrase de Madame DELAUNAY:
"On a expulsé une personne âgée de son domicile en plein hiver", mais qu'en est-il exactement?
Le débat juridique porte sur la notion de domicile et le traitement judiciaire de la facture d'impayés aboutissant à la fin du contrat.
2.Domicile et rupture de contrat
Il y a pour le moins un consensus sur la condamnation unanime du traitement de cet impayé et du rapatriement de la personne âgée au domicile d'un des enfants.
La maison de retraite elle-même reconnaît l'erreur mais, de ci de là, on conteste les propos de la Ministre sur la notion de domicile. Plusieurs conseils et experts se sont prononcés sur le bien-fondé de la mesure, au moins du point de vue juridique, en rappelant que le contrat de séjour n'est pas un contrat de bail, mais un contrat de prestation de service et, dès lors, la chambre d'EHPAD ne serait pas un domicile au sens juridique du terme.
La chambre du résident serait un lieu privatif ou d'intimité, mais pas un domicile selon une décision de la Cour administrative d'appel de NANTES (27 octobre 2011).
Dès lors, il n'y aurait ni procédure, ni protection hivernale, tout cela n'étant réservé qu'aux seuls locataires, selon certains.
On peut en douter. Un résident âgé aurait moins de droits qu'un "squatter"? Occupant sans droit ni titre qui ne peut être expulsé que par décision de justice?
On ne peut qu'appeler à la prudence les directeurs d'établissement confrontés aux problèmes sans doute fréquents des difficultés de paiement, mais la solution unilatérale qui a été utilisée n'est certainement pas la bonne.
Il apparaît d'ailleurs que la maison de retraite avait fait juger en référé la réclamation de sa créance de factures impayées car il faut un titre exécutoire pour obtenir le paiement, et elle aurait dû manifestement demander également au juge des référés, faute du paiement de la somme, d'ordonner l'expulsion de la personne âgée.
Il y a fort à parier que le juge aurait accordé des délais ou aurait rejeté en l'état la demande en se fondant justement sur le statut particulier de l'hébergement de la personne âgée.
On ne peut affirmer de façon péremptoire que la chambre n'est pas le domicile de la personne âgée. Il faudrait d'ailleurs distinguer selon que la personne âgée a conservé un bien immobilier qui était son ancien domicile, ou si elle n'a plus aucun autre lieu que la maison de retraite et, dès lors, les notions de résidence et de domicile se confondent.
Le domicile, pour les juristes, c'est le lieu où une personne a son principal établissement, c'est-à-dire le centre de ses intérêts... (Henri Capitant)
Le Code civil reprend d'ailleurs le terme en indiquant que le domicile de tout français quant à l'exercice de ses droits civils est au lieu où il a son principal établissement (Code civil, art. 102).
Ainsi, pour qualifier le principal établissement, on prend en compte l'installation durable, l'inscription sur les listes électorales, la réception de la correspondance etc.
Les hébergements dans des structures quasi pénitentiaires sont manifestement révolus. La charte des droits et libertés de la personne accueillie, mentionnée à l'article L. 311-4 du Code de l'action sociale et des familles, prend en compte de nouvelles données.
La chambre doit pouvoir répondre à l'exigence de maintien de la sécurité et de l'intimité, et la chambre ou le logement du résident est compris comme un domicile classique et bénéficie de la même inviolabilité. L'établissement doit garantir cette intimité et cette inviolabilité du logement, a fortiori contre l'expulsion arbitraire.
C'est bien le sens de l'histoire de l'hébergement en EHPAD, et c'est le juge qui est garant des libertés individuelles qui doit être saisi pour statuer sur le maintien ou non de la personne âgée.
Au-delà du caractère exceptionnel par l'accumulation de maladresses du cas en question, se trouve posées des questions aussi fondamentales que celles du statut de la personne hébergée, du financement de l'hébergement, des relations entre les familles et les établissements, et les problèmes liés à l'arrivée d'un juge dans une situation nouvelle, loin du bail traditionnel, et dans une situation de précarité liée à l'âge et à la santé...