Les fausses routes alimentaires représentent un risque majeur. Outre l'asphyxie par obstruction, ces incidents répétés peuvent entraîner une pneumopathie d'inhalation, complication potentiellement mortelle. Pour les prévenir, la mise en place de mesures préventives adaptées est essentielle.
Fausse route : comment la prévenir ?
La fausse route directe survient lorsqu'un aliment solide ou liquide emprunte la trachée au lieu de l'oesophage lors de la déglutition, provoquant une asphyxie. En temps normal, la déglutition protège les voies aériennes. En cas d'incident, le corps réagit en déclenchant une toux pour expulser l'élément obstruant. Cependant, une fausse route peut également conduire à une pneumopathie d'inhalation, due à l'inhalation de contenu gastrique ou oropharyngé dans le larynx ou les voies aériennes inférieures. Les conséquences varient en fonction de la nature, du potentiel hydrogène (pH) et du volume des sécrétions inhalées, mais aussi de l'état de santé du résident.
Les causes des fausses routes
Adultes comme enfants peuvent être victimes de fausses routes. Cependant, chez la personne âgée, elles se révèlent plus fréquentes en raison d'un ralentissement des fonctions de la déglutition, conséquence du vieillissement physiologique. « Cette altération naturelle de la déglutition avec l'âge, appelée presbyphagie primaire, peut, selon son intensité et la coexistence de déficits sensoriels et cognitifs, avoir une incidence sur l'autonomie de la personne voire engendrer une malnutrition ou une dénutrition », rapporte Émilie Lorrain, orthophoniste et formatrice, membre de la Fédération nationale des orthophonistes (FNO).
Les fausses routes peuvent également résulter de troubles de la déglutition appelés dysphagie, qui comptent toutes les difficultés pouvant survenir au cours des différentes étapes de cette déglutition. Le résident peut aussi être victime de fausses routes silencieuses, « notamment lorsqu'il est insensible au passage de liquides ou de solides dans le larynx, explique l'orthophoniste. Le réflexe de toux n'est alors pas déclenché, et elles passent inaperçues ».
Enfin, la personne âgée peut avoir des stases valléculaires ou piriformes dans la zone pharyngée, c'est-à-dire qu'une partie du bol alimentaire y reste coincée sans qu'elle s'en rende compte. « Si elle ne déglutit pas, il y a un fort risque que le bolus descende vers les poumons », prévient l'orthophoniste. C'est d'autant plus alarmant que ces fausses routes se produisent à distance des repas et que la personne ne va pas tousser. « C'est pourquoi il est essentiel de ne jamais coucher un résident dans les 20 minutes qui suivent les repas », ajoute-t-elle.
Les signes d'alerte
Pour éviter que les fausses routes se produisent, « dès lors qu'un résident se plaint d'une gêne au moment de la déglutition, c'est-à-dire s'il évoque un manque de salive, s'il a un larmoiement, une toux, des raclements de gorge pendant ou en dehors des repas, ou s'il se détourne des repas sans forcément le justifier, l'équipe de l'Ehpad doit réagir », souligne Émilie Lorrain. Autre signe d'appel : l'absence de toux. « Souvent, les soignants s'inquiètent de la présence d'une toux, alors qu'en réalité elle démontre la capacité de la personne à expectorer, signale l'orthophoniste. C'est justement lorsqu'il n'y a pas de toux qu'il faut s'inquiéter, car la personne âgée peut se retrouver en difficulté pour expulser le bolus. »
Les équipes doivent également faire preuve de vigilance lorsque les résidents ont la voix mouillée, signe de la présence de résidus au niveau des cordes vocales ou s'ils toussent à distance des repas.
La prise en charge
Lorsqu'une personne âgée est presbyphage ou dysphagique, la texture de son alimentation doit être adaptée (petits morceaux tendres ou textures plus simplifiées) afin d'éviter les fausses routes. Ses capacités de déglutition des boissons doivent également être évaluées afin d'adapter leur consistance, de même que des couverts spécifiques et des aides techniques peuvent être utilisés. « Au moment du repas, il faut aussi travailler sur la posture, c'est-à-dire lui proposer un environnement calme pour manger afin qu'elle ne soit pas distraite par une autre activité telle que la télévision », donne en exemple Émilie Lorrain.
Des actions de prévention peuvent être mises en place - notamment pour prévenir les pneumopathies d'inhalation - comme de veiller à l'hygiène buccale des résidents. Une bouche saine réduit le risque d'infections, surtout en présence de dents abîmées ou de dentiers mal ajustés, susceptibles de provoquer des blessures. « Les soignants doivent prendre le temps de vérifier la bouche des résidents et leur demander de déglutir ou de parler un peu après les repas pour s'assurer de l'absence de stases », recommande l'orthophoniste.
La stimulation des personnes âgées
Les personnes atteintes de troubles neurodégénératifs peuvent présenter des troubles du comportement alimentaire qui se manifestent par des difficultés de perception du temps du repas, des aliments, des goûts, des odeurs ou plus simplement de l'intérêt de s'alimenter. « Ces résidents sont à risque de fausse route car souvent nourris par un tiers, pointe Émilie Lorrain. Or, si l'on place un aliment dans la bouche d'une personne manifestant un défaut de perception, son cerveau ne va pas identifier sa présence, donc la nécessité de déglutir. Le risque de fausse route est alors intensifié. » Il est nécessaire de privilégier l'accompagnement verbal et gestuel, et de stimuler les personnes avec des textures et des sensations. Dans ces cas particuliers, « les prises en charge par un orthophoniste peuvent être intensives sur un temps court, prévient-elle. Car lorsque le patient ne perçoit plus ce qu'il mange, il faut l'aider rapidement à retrouver la perception sensorielle avec des gestes d'accompagnement à la mise en bouche pour que le cerveau sache anticiper la nécessité de déglutir. »
La sensibilisation des aidants professionnels et familiaux est nécessaire pour leur faire comprendre les spécificités des troubles de la déglutition et de l'oralité en fonction de la pathologie. « La prise en soins des personnes âgées concernées par cette problématique doit être écosystémique c'est-à-dire porter à la fois sur le patient avec des actions directes, ainsi que sur son écosystème avec des actions indirectes », conclut Émilie Lorrain. Les adaptations à mener doivent être pensées en pluriprofessionnalité et le bilan orthophonique en est un préalable indispensable.