Financement de la perte d'autonomie : rendez-vous en 2012
Une fois encore, je centre ma chronique sur la réforme du financement de la perte d'autonomie des plus âgés... On le sait, le gouvernement a décalé une fois de plus l'annonce de sa réforme. En même temps, chacun sentait qu'elle serait à minima, très loin des postures présidentielles de la campagne de 2007 et des discours presque martiaux qui ont accompagné le lancement du processus.
Pour autant, cet aller-retour n'a pas été inutile car, au moins, il a permis une réelle phase de concertation, menée par Roslyne Bachelot, à la fois longue et utile et marquée par des débats décentralisés et des groupes de travail sérieux.
Reste qu'il faudra bien prendre des mesures globales pour répondre à l'enjeu. Dans un moment marqué par la problématique de l'endettement public, le financement de la perte d'autonomie interroge les conditions de la mobilisation de la solidarité. Il me semble qu'il n'y a que trois possibilités pour répondre à cette exigence.
En premier lieu, le passage à l'assurance privée. Elle se justifie par la volonté de ne pas accroître les prélèvements obligatoires ni d'augmenter les déficits publics. Sauf que rendre obligatoire de s'assurer contre un risque revient bien à accroître dans les faits les prélèvements sur les personnes... Sans compter que les projets de ce type s'accompagnent généralement d'aides fiscales qui sont autant de manque à gagner pour la collectivité.
La mobilisation des assurances privées nécessite une éthique des règles de remboursement qui interroge. Le coût de cette assurance peut apparaître indolore si elle est prise très tôt (dès 50 ans) mais représente à la longue une sacrée somme et avec le risque de difficultés à faire valoir ses droits 30 ou 40 ans après qu'elle ait été contractée. Une personne fragilisée sera en situation inégale face à des professionnels aguerris... En plus, chaque assureur développe ses normes. On peut critiquer les GIR, mais au moins il y a un thermomètre commun. Là c'est au petit malheur la chance !
Une deuxième possibilité passe par les complémentaires santé. On estime que 94 % de la population est aujourd'hui couverte. Ces dernières jouent un rôlcroissant et essentiel pour garantir le droit à la santé de tous. Avec le recul de la protection assumée par la sécurité sociale, ces complémentaires prennent une importance majeure. Selon les accords, le niveau des prestations est différent mais elles couvrent l'ensemble des publics de l'entreprise, et pas seulement les cadres comme on le croit parfois. Les contrats collectifs sont financés à 60 % par les entreprises et depuis 2008, il y a une sorte de " droit de suite " qui permet aux personnes licenciées de conserver un temps le bénéfice de la complémentaire et aux retraités de rester couverts tout au long de leur vie. Des contrats existent qui couvrent aussi la perte d'autonomie d'un parent. Cette solution pose le double problème d'une individualisation de la protection et de se trouver assise seulement sur le travail.
Mais une troisième optique est possible, pour dégager les financements supplémentaires, en privilégiant, des financements publics et sans accroître l'endettement : rechercher des recettes nouvelles qui ne pèsent pas sur le travail ni sur les plus modestes.
Le levier principal devrait être de financer le soutien à la perte d'autonomie liée au vieillissement par une hausse du produit de la taxation de l'héritage. L'État a pris un malin plaisir à se tirer une balle dans le pied en réduisant très fortement l'impôt sur les successions alors que cette prime à la rente ne répondait à aucune logique de soutien à l'activité mais simplement à alimenter l'épargne de patrimoine. Le produit de la hausse de la taxation de l'héritage (gain de 2,5Mds€ par an, si l'on retourne à la règle d'avant 2007, et de 4 Mds€ par an, si l'on revient aux années 1990) peut couvrir plus de 50 % des nouveaux besoins et permettre à l'État de remplir ses engagements de co-financement de l'APA. Un autre peut être mobilisé avec l'augmentation progressive du taux de la CSG sur les pensions de retraite pour atteindre le taux appliqué, de 7,5 % sur les revenus d'activité. Cela rapporterait à termes environ 2 Mds€ (en conservant l'exonération et le taux minoré pour les plus modestes).
Au-delà de la question des recettes, il faudrait bien aussi agir sur les coûts structurels : principalement le mode de tarification et les pratiques de soin. Sans oublier que la perte d'autonomie provient aussi des modes de vie précédents des personnes et de leur contexte social et environnemental. La limitation de la consommation de médicaments, l'encadrement des dépassements d'honoraires des médecins et le passage au forfait pour le suivi des maladies chroniques et du vieillissement viendraient diminuer la charge pour l'Assurance-maladie. C'est bien la politique de santé dans son ensemble qu'il faudrait reconstruire... Mais c'est une autre histoire pour une autre chronique.
Serge Guérin
Professeur à l'ESG Management School
Vient de publier " La nouvelle société des seniors ", Michalon 2011