Pour limiter les recours évitables aux urgences, l'ARS Hauts-de-France a formé les professionnels des EHPAD à la gestion des urgences afin de les aider à mieux évaluer les situations.
Former les professionnels des EHPAD à la gestion des urgences
Le projet ASSURE (Amélioration des SoinS d'URgence en EHPAD) est né dans les Hauts-de-France début 2017 suite au constat réalisé par les professionnels de santé d'une augmentation du nombre de personnes âgées orientées par les EHPAD vers le SAMU et les services d'urgence hospitaliers. « Nous avons constitué un groupe de travail régional afin de mettre en oeuvre une action de sensibilisation des personnels des EHPAD à l'optimisation du traitement d'une demande d'urgence », témoigne le Dr Marguerite-Marie Defebvre, médecin de santé publique à l'Agence régionale de santé des Hauts-de-France.
Méthodologie
La méthode retenue pourrait se résumer par « train the trainers » : des binômes référents de centres hospitaliers universitaires - l'un exerçant en gériatrie, l'autre dans un service d'urgence - ont formé des médecins binômes dans chaque hôpital de la région, lesquels sont ensuite intervenus en EHPAD. Dans les établissements, le programme a été déployé auprès du médecin coordonnateur, de l'infirmière coordinatrice et du Directeur. « Les binômes ont formé des trinômes, qui se sont ensuite chargés de diffuser l'information à l'ensemble de leurs collègues grâce à un kit de sensibilisation rapide », poursuit le Dr Marguerite-Marie Defebvre. Ce kit élaboré par le groupe de travail régional qui regroupait des représentants des deux CHU - Lille et Amiens -, de l'observatoire régional des urgences, des associations de médecins urgentistes et des EHPAD, a été conçu de manière ludique. Il comprend par exemple un jeu de cartes Cluehpad élaboré sur le modèle du Cluedo.
« Cluehpad est un jeu de cartes qui comprend plusieurs items : le lieu, le profil du résident, l'heure de l'événement, le niveau de dépendance et chaque situation reprenant l'une des dix-neuf situations du guide des 19 fiches de conduites à tenir contenu dans le kit ASSURE, tout en laissant aux professionnels la possibilité de créer à partir de cette base des scénarii proches du terrain et parfois des expériences passées, complète Séverine Laboue, Directrice Groupe Hospitalier Loos Haubourdin et Cheffe de projet. L'équipe réfléchit et prend une décision. Les établissements se sont appropriés différemment cette formation : certains ont privilégié le serious game ; d'autres ont utilisé les fiches de manière plus professorale avec des temps d'intervention variés. Chacun est libre d'utiliser l'outil comme il l'entend en fonction du profil de l'équipe, de sa façon de réagir et de sa disponibilité. » Les profils proposés ont aussi été étudiés de manière à aborder un maximum de situations. « Sur l'une de nos cartes, Madame Michu adore l'opéra. Ce n'est pas anodin. L'agent soignant pourra ainsi proposer de mettre un air d'opéra dans sa chambre en cas de douleur pour apaiser et ainsi faciliter la prise en soin. Autre exemple, Madame Ginette est une cardiologue à la retraite et ses enfants sont médecins. L'objectif était dans ce cas de vaincre la peur par anticipation, autrement dit de ne pas appeler systématiquement le 15 pour ne pas avoir de problèmes avec la famille. C'est notre manière de rappeler qu'une situation personnelle ne doit pas biaiser une analyse clinique. »
Des outils pédagogiques
Le Dr Philippe Walraet qui exerce à l'EHPAD Saint-François de Sales à Capinghem et à Notre Dame de l'Accueil à Lille (association Feron-Vrau), sollicité par l'ARS dès 2018, a été rapidement séduit par le dispositif. « L'objectif n'est pas de ne plus envoyer aux urgences mais de mieux envoyer aux urgences. Les relations entre ces services et les EHPAD ont parfois été complexes, elles ne le sont plus car grâce à Assure, nous parlons désormais le même langage ». Le Dr Philippe Walraet a choisi de présenter des sessions d'une durée d'une heure trente : il a commencé par enseigner la fiche « identification des signes de gravité généraux » qui regroupe trois grandes familles de troubles - neurologiques, respiratoires et cardio-circulatoires - avant d'aborder les 19 fiches sur des variations autour des cinq sujets prioritaires : l'arrêt cardiaque, la détresse respiratoire, l'hémorragie, le comas et la suspicion d'AVC. Le tout émaillé de cas concrets : « Par exemple, une résidente avec un rythme cardiaque à 35 présente une plaie sanguinolente en regard du fémur. Faut-il la laisser au sol ou la relever ? » Une trousse « Assure » mise en place au sein de l'EHPAD comportant un saturomètre, un tensiomètre et un thermomètre sans contact permet aux infirmières et aux aides-soignantes de prendre toutes les constantes d'une personne en difficulté. « L'une de nos résidentes a récemment été retrouvée au sol. Il s'est avéré qu'elle souffrait d'une petite hypothermie, illustre le Dr Philippe Walraet. Elle fut adressée aux urgences. En prenant de ses nouvelles, l'infirmière s' est enquis de savoir si elle n'avait pas de rhabdomyolyse (1). C'est formidable. Jamais je n'aurais entendu cela avant. J'ai été médecin généraliste pendant 34 ans, et parfois lorsque j'étais appelé dans un EHPAD, il pouvait arriver que l'on me dise "Il faut venir Docteur, Madame X n'est pas bien". Ce temps-là est révolu. Assure a fait collectivement monter tous nos personnels en compétence. Ils parlent désormais le même langage que le Samu ».
Une évolution qui ravit également les médecins de ville : « Les professionnels des EHPAD ont développé un excellent niveau qualitatif de transmissions et de structuration de l'information. C'est ce que nous appelons les avantages collatéraux. Assure rassure et réassure les professionnels des Ehpad dans leurs compétences. Et tous en bénéficient », confirme Séverine Laboue.
Le Dr Philippe Walraet s'est inspiré de ce programme pour décliner une fiche sur le coronavirus. « Nous sommes en ordre de marche, formés et informés pour faire face à la crise ».
Fin mai, les professionnels des 585 EHPAD que compte la région auront été formés. « Il n'y avait aucune obligation mais une forte incitation. Nous avons par ailleurs financé l'animation de ce projet : deux animateurs positionnés au centre hospitalier de Loos-Haubourdin organisent le planning des formations et appellent les directions d'établissement ». En attendant les résultats de l'évaluation qui seront menés en collaboration avec les deux CHU, « un infléchissement du recours aux services d'urgence de l'ordre de 17% a déjà pu être observé sur les premiers territoires concernés par cette action, même s'il demande à être confirmé », note le Dr Marguerite-Marie Defebvre.
Le programme ASSURE devrait maintenant être déployé dans les IFSI et les IFAS afin de sensibiliser les élèves à une meilleure coordination des soins entre établissements de sante? et EHPAD. Et l'ARS travaille également avec son groupe de travail à une adaptation de ce programme pour le domicile dans les SSIAD et les HAD.