Olivier Quenette, directeur de l'EHPAD Saint-Barthelemy (Fondation Saint-Jean de Dieu) a acquis une expérience convaincante dans l'accompagnement d'un public ayant de fortes addictions à l'alcool ou au tabac. Quelles leçons en retenir pour les EHPAD ?
Gérer les résidents qui ont des addictions
L'EHPAD Saint-Barthelemy Fondation Saint-Jean de Dieu à Marseille accueille 245 résidents pris en charge par l'aide sociale à 80,75% et emploie 110 ETP et 50 ETP de prestataire de service. La mission de l'établissement est l'accueil des plus pauvres : errance, psychiatrie, et les accompagnements dits complexes ou qui ont échoué dans d'autres EHPAD. La moyenne d'âge est de 76 ans (60% d'hommes, 40% de femmes).
La sectorisation des unités de vie permet un accompagnement adapté des personnes âgées relevant de la géronto-psychiatrie (Saint-Richard & Saint Benoit, 113 lits), des personnes âgées souffrant de maladies neuro-dégénératives (Saint-Joseph, 53 lits), Frères ainés (Saint-Benoit, 14 lits), des personnes issues de l'errance (Saint Roch 34 lits), et des personnes âgées valides (Magallon, 31 lits).
L'autonomie et la liberté restent au centre de la philosophie de l'établissement : liberté d'aller et venir, droit au risque, droit à la reconnaissance de toute existence quelle que soit sa fragilité, droit au choix. Seule l'approche pluridisciplinaire et non coercitive obtient des résultats avec des usagers atypiques qui nécessitent une approche tolérante évitant " l'effet rupture " ou " décompensation ".
Le respect de la personne et l'acculturation progressive réussit des miracles là où d'autres EHPAD ont échoué.
Interview Olivier Quenette, directeur de l'EHPAD Saint Barthelemy
De nombreux EHPAD accueillent des personnes âgées ayant des addictions à l'alcool ou au tabac. Quelle attitude adopter ?
La première des choses est de reconnaître au niveau des équipes que ces personnes sont addictes à ces produits et l'important est d'agir selon le principe de la gestion des risques. Le risque majeur est d'abord pour la personne elle-même (dégradation rapide de sa santé et de son intégrité physiologique) et en terme de comportement sa consommation peut le rendre inadaptée à une vie en collectivité. L'idée est d'accepter cette personne, avec son addiction à l'alcool. On va regarder et mesurer ses consommations, avec elle, sans stigmatiser - c'est très important - et on va travailler avec elle pour créer un lien de confiance afin de l'accompagner dans cette consommation et l'aider à garder une limite acceptable. Bien souvent ces personnes disent qu'elles ne boivent pas et on les retrouve alcoolisées, ou alors elles disent " oui je bois et je veux continuer à boire... ". Il faut trouver un équilibre entre confort de la personne et vie en collectivité.
Ces personnes peuvent perturber la tranquillité des autres résidents ?
Le plus important vis-à-vis des équipes - en partant du médecin-co, de l'infirmière cadre, et des soignants - c'est de transformer les représentations que l'on a sur l'alcool. Aujourd'hui ces personnes font 2 mois de cure mais 92% de ces cures donnent des résultats négatifs et la personne boit à nouveau. La contrainte ne permet pas d'aboutir à un résultat positif. Le seul moyen est de faire adhérer les équipes à une approche de gestion des risques et de faire une formation spécifique.
Avant nous étions coercitifs et nous avons changé. Le résultat est beaucoup plus probant aujourd'hui.
Le fait que la personne se retrouve dans un milieu sécurisé où on va la respecter ne diminue-t-il pas son appétence à l'alcool ?
Non cela ne se fait pas tout seul. Il faut un accompagnement pluridisciplinaire : médecins, psychologue, équipes soignantes qui sont directement en contact avec la personne.. Quand on fait la formation on apprend à nos équipes que celui qui est addict a une zone de confort, c'est-à-dire qu'il lui faut une certaine consommation pour être bien, au delà de cette zone il a des comportements excessifs avec une atteinte à son intégrité physiologique et comportementale. Il faut donc déterminer cette zone de confort, la contractualiser avec lui, et lui fournir ce dont il a besoin. Cela veut dire que l'on considère la personne dans sa globalité avec cette dimension de consommation d'alcool.
Pourquoi un anthropologue dans votre équipe ?
Mathieu Fieulaine est une personne qui s'est spécialisée dans l'accompagnement des personnes addictes et en grande précarité. Il a fait des rapports demandés par le ministère et des études sur ce sujet et il assure la formation de l'ensemble des équipes. L'important est de modifier notre regard et de ne pas simplement considérer la personne comme malade. Si on veut être conforme à la loi 2002-2 on doit prendre en considération son projet de vie et sa volonté de continuer à boire. Nous avons protocolisé la prise d'alcool en fin de vie...
Qu'est-ce que ça veut dire protocoliser la consommation ?
Nous avons fait un protocole de consommation pour une personne alcoolique en fin de vie. Une aide soignante à heure fixe lui apportait un verre de vin avec des toasts et passait 20 à 30 minutes avec lui à discuter. La plupart du temps il ne le buvait pas mais il était sécurisé. Jusqu'au bout on respecte leur choix de vie.
Il y a aussi les fumeurs, avec des risques importants pour les établissements ?
Les 2 seules collectivités dans lesquelles les usagers ont le droit de fumer sont, d'après la loi Evin, les prisons et les EHPAD. Ils ont le droit de fumer dans les locaux privés, à savoir leur chambre. Si on leur interdit de fumer, nous sommes coercitifs.
Nous avons une forte population d'origine psychiatrique avec des personnes âgées chroniques stabilisées : si vous les empêchez de fumer ils vont décompenser. Donc nous organisons une gestion du tabac en comptant les cigarettes, tous les jours, afin qu'ils puissent tenir toute la journée.