Gouvernement Fillon : où sont les aînés?
A mal nommer les choses, on rajoute de la misère au monde, disait Camus. Ne pas nommer du tout c'est nier le sujet, nier les personnes, nier les réalités. Or, la nouvelle équipe gouvernementale se caractérise par l'absence de toute référence aux personnes âgées (ou aux aînés ou aux vieux, comme on voudra). Nous disposons d'une ministre de plein exercice pour le sport, d'une secrétaire d'Etat pour la jeunesse mais rien pour la question des ainés et de l'intergénération. Cherchez l'erreur !
Pourtant, nous sortons d'une longue séquence sur les retraites où l'allongement de la vie et la hausse du nombre de seniors fut constamment mise en avant par le gouvernement. Sous un angle systématiquement négatif et dramatisé.... Rappelons aussi que lors de la campagne présidentielle de 2007, le candidat Sarkozy s'était engagé à proposer des mesures en faveur de la prise en charge collective de la perte d'autonomie...
Faut-il rappeler que les plus de 60 ans sont passé de 9 millions de personnes avant 1980, à 14 millions aujourd'hui, avant de compter pour plus de 17 millions en 2020 ? Faut-il rappeler que les plus de 85 ans seront en 2050, quatre fois plus nombreux qu'aujourd'hui ? On ne peut construire une France d'avenir dans prendre en compte la question senior, non pour se faire peur mais pour répondre aux enjeux, prévoir les moyens nécessaires et accompagner les personnes dans leur " troisième mi-temps " de vie. La révolution démographique, pour peu que l'on sache y faire face et faire évoluer les représentations, n'est pas un risque mais bien une chance. Elle oblige à penser une société plus douce à vivre pour l'ensemble des personnes en situation de vulnérabilité : petites enfance, jeunes en ruptures scolaires, personnes âgées, handicapées, fragiles psychologiquement... Mais la compréhension des enjeux de la seniorisation de la société conduit aussi à repenser les hiérarchies des métiers pour valoriser, c'est-à-dire mieux payer et mieux former, celles et ceux qui au quotidien accompagnent avec bienveillance, prennent soin avec compétence, des personnes en fragilité. Le rôle d'un ministère devrait aussi être d'accompagner les formes multiples de solidarité pratiqués par les aînés auprès de l'ensemble des générations. Faut-il ainsi passer sous silence ces 4 millions de personnes, dont une majorité d'âgées, qui pratiquent le don de soi par l'accompagnement bénévole à des personnes très vieillissantes ou touchées par des maladies chroniques ? Faut-il oublier ces millions de plus de 60 ans, considérés comme des " inactifs " mais animent les associations, viennent accompagner et soutenir des enfants, des jeunes et des adultes dans leur apprentissage ou leur vie quotidienne ? Ils montrent qu'il n'y a pas de fatalité à l'égoïsme social et qu'une société ne se résume pas à des actifs en bonne santé passant leur vie à consommer.
Pour autant, dans son intervention télévisée, le président de la République a largement évoqué la question du " 5ème risque ". Les mots ayant de l'importance, je crois qu'il est préférable de parler de " 5ème pilier de la sécurité sociale " ou encore " nouvelle élargissement de la protection sociale ", car cela permet d'inscrire dans un mouvement plus large, dans une progression sociale. Car cette question, centrale, symbolise le contenu que nous voulons collectivement donner à la solidarité avec les plus âgées, avec les plus fragiles, avec ceux qui sont en situation de handicap.
L'enjeu est assez simple : le prendre soin des plus âgés relève-t-il d'une démarche individuelle ou de la solidarité collective ? Dans le premier cas, il s'agit de proposer une démarche fondée sur l'assurance individuelle pour se garder du " risque dépendance ". Dans l'autre, on refuse le terme de dépendance, car la société est justement l'organisation de nos interdépendances, au profit de la " perte d'autonomie " et on y répond par une démarche collective. Il s'agit alors que les plus fragiles économiquement ne se voient pas appliquer la double peine lorsqu'ils se retrouvent en situation de forte perte d'autonomie.
Ce n'est pas un débat technique qui nous attends, mais bien un débat de société. Un débat de société qui posera d'abord la question des solidarités intergénérationnelles. Nous y reviendrons.