Dans le n° 60-septembre 2015  -  Joëlle Martinaux  5020

Il est impossible d'imposer un modèle unique

Joëlle Martinaux, présidente de l'UNCCAS, fait le point après une première année de mandat et donne sa vision de l'accompagnement des personnes âgées. Face à la réforme territoriale, elle oppose le "modèle unique" à la diversité des territoires, un modèle qui freine l'action des CCAS/CIAS. Sur les services à domicile et l'hébergement, elle rappelle les propositions de l'UNCCAS et prône un meilleur accompagnement des familles afin de favoriser leur implication.

Vous êtes présidente de l'UNCCAS (Union Nationale des Centres Communaux d'Action Sociale) depuis un an. Quel bilan tirez-vous de cette première année ?

Un bilan positif?! Mon premier challenge a été de garder une équipe gagnante. Le passage de témoin, lié à l'alternance politique au sein de nos instances, en a d'abord questionné plus d'un. À l'époque, j'ai dû convaincre les élus. Aujourd'hui, les résultats sont là?: cela fonctionne très bien?!
Nous avons trois priorités. D'abord?: faire connaître les CCAS et CIAS, veiller à ce que leur rôle ne soit pas affaibli, promouvoir la nécessité d'une offre de proximité sur tous les territoires... Dans certaines zones, des gens sont isolés et le resteraient sans l'intervention des CCAS. À l'occasion de la réforme territoriale qui nous a mobilisés cette année, je me suis rendu compte que beaucoup de personnes ne connaissaient pas ou mal les CCAS. Nous réaffirmons donc sans cesse leur rôle, que ce soit auprès des ministres, des parlementaires, au sein du CNLE (Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale), etc. Certains pensent que l'action du CCAS est cantonnée aux personnes âgées. C'est faux. Le CCAS travaille de manière transversale et décloisonnée auprès de nombreux publics. Et puis, une personne âgée peut aussi être une personne en précarité.
Le deuxième axe est de renforcer et mettre à disposition de nos CCAS et CIAS des outils encore plus performants et d'optimiser nos propres actions, nos partenariats. Les résultats, déclinables localement, seront visibles bientôt.

Quel est le troisième axe ?

Être à l'écoute de la diversité des territoires. Ce qui rend impossible, et encore moins souhaitable, toute tentative d'imposer un modèle unique. Tout excès de rigueur conduit à la rigidité et nuit autant à la prise d'initiatives qu'aux usagers. En Auvergne, trois villes de départements différents avaient pris l'habitude de travailler ensemble. Si elles ne devaient réfléchir qu'à l'aune de leur propre département, la dynamique de coopération qu'elles ont instaurée depuis longtemps ne pourrait pas perdurer. De même, il faut donner leur chance aux petits projets, qui ne "rentrent pas dans les cases". Les services d'Inspection, à force de vouloir se conformer aux textes, peuvent conduire certains acteurs locaux à renoncer à toute idée ou initiative. Dans le respect des droits fondamentaux de chacun mais avec une attention particulière aux projets de proximité, nous gagnerions tous à un peu plus de souplesse. La première simplification administrative, c'est de faire confiance. Le seul résultat qui compte, c'est le résultat coût/satisfaction. Si ce résultat est positif, on pérennise l'action.

Parlons des mesures concernant l'accompagnement des personnes âgées.

Concernant les logements-foyers, dans le cadre des discussions sur le projet de loi pour l'adaptation de la société au vieillissement, nous avons proposé un amendement en faveur du cumul du prochain forfait autonomie et du forfait de soins courants. Le Sénat a retenu notre amendement mais Bercy et les députés n'ont pas suivi. C'est consternant car ces deux forfaits couvrent deux axes différents. Rebaptiser le logement-foyer "Résidence-autonomie" ne sert à rien si l'établissement n'est pas en mesure de jouer pleinement son rôle de prévention. Vivre en logement-foyer n'est épanouissant que si ce dernier est adapté. Ne pas lutter à temps contre l'isolement a un coût, "à retardement"?: chutes ou dépression, hospitalisation, médicaments... Je regrette que nous soyons dans une logique budgétaire et non de parcours. L'UNCCAS, qui a de nombreuses attentes, suit le texte avec beaucoup d'attention. Le sujet sera évidemment à l'ordre du jour de nos prochaines rencontres avec Laurence Rossignol.

Toutes les personnes âges ne peuvent pas rester vivre chez elles, même avec des services à domicile. Or le prix des EHPAD est un problème pour nombre d'entre elles...

Rendez-vous compte?: 56?% des foyers fiscaux ont un revenu imposable inférieur à 1?000?€ par mois et 91?% des foyers fiscaux ont un revenu imposable inférieur à 2?220?€ par mois. Des montants qui tiennent compte notamment du montant moyen de la pension de retraite du régime général qui est de 1?206?€ net par mois. Il est évident que le coût moyen d'un EHPAD pour une personne, qui s'élève à plus de 2?200?€ par mois de reste à charge, est trop élevé pour une très grande majorité de Français. Ce sont là de vrais freins à l'entrée en EHPAD. Pour sortir de cette situation, des leviers existent?: diminuer le coût du travail, décourager les plus-values injustifiées lors de l'acquisition des terrains, revoir la fiscalité des frais liés à la dépendance et à l'hébergement en EHPAD, etc.

Du côté des services à domicile ?

Je vois des choses intéressantes et d'autres moins. L'UNCCAS participe aux travaux sur les SPASAD. Il semble assez logique d'associer services d'aide et de soins à domicile. Mais sur le terrain l'expérimentation patine. Un peu comme pour les GCSMS, un outil très intéressant mais qui, sur le terrain, présente encore de nombreux freins techniques et juridiques. Nous sommes aussi favorables à une tarification globale qui prenne en compte l'ensemble des coûts de service. Pas question d'aller vers une tarification à l'acte?! Enfin, l'UNCCAS prône le régime unique de l'autorisation.

Quelle place donnez-vous au secteur privé commercial dans l'accompagnement des personnes âgées ?

À niveau de qualité équivalent au secteur non-lucratif, les acteurs du secteur lucratif doivent proposer des services à des coûts raisonnables. Le problème est qu'ils sont moins contrôlés que les acteurs publics, tels que les CCAS, ou les associations. C'est regrettable d'autant que si la qualité n'est pas au rendez-vous, ce sont les personnes âgées qui en pâtissent.

Êtes-vous optimiste sur l'adaptation de la société à son vieillissement ?

Oui, je suis toujours optimiste. Il y a une réflexion à mener sur la place que devrait reprendre la famille dans l'accompagnement. À titre personnel, je pense que nous sommes à la croisée des chemins?: veut-on privilégier l'individualisme au nom de la liberté de chacun?? C'est la conjonction des forces, celles des professionnels, de la famille, des aidants qui aidera à franchir le cap du vieillissement de la société. Il faut en appeler à la responsabilité individuelle. Le soin des escarres est la tâche des soignants professionnels, la présence et la conversation reviennent à la famille. Sans doute faut-il structurer une reconnaissance de l'aidant, de ceux qui font le choix d'être aidant. Là encore, la fiscalité peut jouer.

Bio express

Joëlle Martinaux est présidente de l'UNCCAS depuis septembre?2014 *. Elle a été membre du bureau national de 2008 à 2014. Elle est également présidente de l'Union départementale des CCAS des Alpes-Maritimes.
Médecin urgentiste, elle exerce toujours au sein de SOS Médecin à Nice et au SAMU 06.
Elle assure différentes autres fonctions politiques?:
- conseillère régionale de Provence Alpes Côte d'Azur, membre de la commission solidarités?;
- conseillère métropolitaine de Nice Côte d'Azur?;
- adjointe au maire de Nice déléguée à la solidarité, aux affaires sociales et aux handicaps, vice-présidente du CCAS.
Joëlle Martinaux est Chevalier dans l'Ordre National du Mérite.

* Elle a succédé à Patrick Kanner, président de l'UNCCAS depuis 1996, aujourd'hui ministre de la ville, de la jeunesse et des sports.

L'UNCCAS

Fondée en 1926, l'UNCCAS est la seule association représentant les maires adjoints aux affaires sociales et leurs centres communaux d'action sociale (CCAS).

L'UNCCAS compte plus de 4?000 CCAS et CIAS adhérents, en métropole et outre-mer, soit 47?millions de citoyens concernés.

L'UNCCAS a un rôle de représentation des CCAS / CIAS au plan national mais aussi européen.

L'UNCCAS joue aussi un rôle d'information, de conseil, de formation, d'animation du réseau et d'échange d'expériences entre CCAS et CIAS.

Les CCAS en chiffres?:

- 123?000 emplois

- 60?% des logements foyers publics pour personnes âgées

- 400 établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes

- 30?000 aides à domicile

- 36?000 places d'accueil de jeunes enfants (crèches, haltes garderies...)

- 150?000 familles en situation de précarité énergétique aidées en 2011.

01/11/2024  - Pauline Allain, présidente du Groupement des animateurs en gérontologie (GAG)

« Les structures ont compris qu'elles n'avaient pas intérêt à rogner sur la vie sociale »

Alors que s'ouvre dans quelques jours le Congrès national des animateurs en gérontologie (CNAAG), Pauline Allain revient pour Géroscopie sur le rôle et la place des animateurs. Entretien.
01/10/2024  - Marie-Sophie Ferreira, directrice stratégie et pôle performance médico-sociale à l'Agence nationale de performance sanitaire et médico-sociale (Anap)

« Nous ne prônons pas la création de mastodontes ni la suppression des antennes locales, mais plutôt la mutualisation des fonctions et la création de dynamiques de groupe »

Forte de sa double responsabilité, Marie-Sophie Ferreira détaille pour Géroscopie l'action de l'Agence nationale de la performance sanitaire et médico-sociale (Anap) au service du médico-social. Entretien.
01/09/2024  - Jean-Luc Angélis, Directeur de la Fondation Recherche Alzheimer

« Il est possible de se dire aujourd'hui que la recherche sur la maladie d'Alzheimer est entrée dans un cercle vertueux. »

Directeur de la Fondation Recherche Alzheimer, Jean-Luc Angélis pose un regard enthousiaste et confiant sur les avancées de la recherche en France et en Europe. Entretien.
01/07/2024  - Tanguy Chatel, sociologue, cofondateur et animateur du Cercle Vulnérabilités et Société

« Nous avons un devoir de vigilance face à des effets d'annonce »

La soudaine dissolution de l'Assemblée nationale vient rebattre les cartes législatives. Exit donc le vote imminent du projet de loi sur l'accompagnement des malades et de la fin de vie. Tanguy Chatel, sociologue, confie toutefois à Géroscopie son analyse sur l'impact d'une telle loi. Entretien[1].
01/06/2024  - Entretien croisé

«Si certaines mesures gouvernementales sont allées dans le bon sens, une profonde réforme reste nécessaire»

Jean-Christophe Amarantinis, président du Synerpa, et Nicolas Hurtiger, président du Synerpa Domicile, ont accepté de répondre, par écrit, aux questions de Géroscopie. Interview.
01/05/2024  - Fadila Khattabi, ministre déléguée chargée des Personnes âgées et des Personnes handicapées

« Depuis ma nomination [...], je n'ai pas l'impression de gagner du temps, mais plutôt d'accélérer »

Récemment nommée ministre déléguée des personnes âgées et des personnes handicapées auprès de Catherine Vautrin, Fadila Khattabi répond pour Géroscopie aux questions qui agitent le secteur. Interview exclusive.
01/03/2024  - Alexis Bataille-Hembert, Marine Crest-Guilluy, Philippe Denormandie, co-rapporteurs du rapport sur la santé des professionnels de santé.

«Un professionnel de santé qui va bien, c'est un professionnel de santé qui soigne bien»

Co-rapporteurs du rapport sur la santé des professionnels de santé remis fin 2023 à Agnès Firmin Le Bodo, Alexis Bataille-Hembert, infirmier, Marine Crest-Guilluy, médecin généraliste libérale et Philippe Denormandie, chirurgien, sont revenus pour Géroscopie sur ses enseignements majeurs.
22/02/2024  - Interview exclusive

Catherine Vautrin, Ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités répond à Géroscopie

"Nous devons parler stratégie, gouvernance et financement". Interrogée début février, Catherine Vautrin présente ses ambitions pour le grand âge. Pas de loi annoncée...
01/02/2024  - Dr Claire Fourcade, présidente de la Société française de soins palliatifs (SFAP)

«La loi actuelle répond à toutes les situations des gens qui vont mourir. Ce à quoi elle ne répond pas, c'est lasituation des gens qui ne sont pas enfin de vie mais qui veulent mourir.»

Spécialisée en soins palliatifs, le Dr Claire Fourcade réinterroge la place et le rôle des soignants dans l'accompagnement de fin de vie, à l'heure même où s'élabore un projet de loi sur les conditions du mourir. Entretien.