Jean-Christophe Amarantinis s'est largement inquiété de la situation des Ehpad. Dans un entretien avec Géroscopie, il livre constats et attentes. État des lieux.
Il faut rapidement flécher des crédits sur les ressources humaines, alerte Jean-Christophe Amarantinis, Président du Synerpa
Aurore Bergé a annoncé l'extension des revalorisations salariales (nuit et dimanche) pour les infirmières et les aides-soignants aux Ehpad publics. L'associatif a réagi et demande un traitement équitable. Quid du privé ? On est dans le même schéma que pour le Ségur ?
Absolument. Depuis le Ségur, plusieurs mois se sont écoulés. Mais aujourd'hui, les équipes en place sont éreintées, gèrent l'absentéisme, des problèmes RH... A travail égal, les salariés qu'ils exercent dans le secteur privé ou le public ne percevraient pas les mêmes rémunérations ? C'est inadmissible. On risque d'ajouter de la crise à la crise car nos salariés vont quitter le privé... Pour rémunérer le personnel de nuit et du dimanche du secteur privé commercial, nous attendons 58 millions d'euros.
Qu'attendez-vous du prochain PLFSS ?
Aujourd'hui, il y a deux priorités pour le secteur : l'inflation avec le rattrapage des années précédentes (le fameux effet ciseau qui n'a pas été compensé par une augmentation des dotations soins et dépenses) et les RH. Ça ne sert à rien de demander 15 postes d'aides-soignants pour chaque Ehpad. Commençons par rémunérer nos salariés correctement, et par financer l'avenant 33 de la nouvelle convention collective, qui offrira dès 2024, de belles perspectives d'attractivité et d'égalité pour les salariés. Pour notre quote-part établissements privés, cela représente 122 millions d'euros.
L'exécutif semble vouloir ranimer le Conseil national de la refondation et ses CNR thématiques, le Synerpa en attend-il quelque chose....
Le CNR est une très bonne initiative, on y a largement participé mais le court terme, l'urgence absolue, ce sont les équipes en place, le fonctionnement des établissements et des services. La prise en charge des résidents peut être dégradée à cause des RH. Il faut rapidement flécher des crédits sur ces ressources humaines. Dans 6 mois/1 an, il sera trop tard. Nous recevons chaque jour des alertes de nos adhérents. Tous nos métiers se trouvent en urgence absolue.
A ceci s'ajoute le problème du financement bancaire. Nous devons entretenir les bâtiments, assurer les mises aux normes et en conformité hôtelière. Jusqu'à la crise financière, il n'y avait aucun problème pour réaliser un emprunt. Aujourd'hui, compte tenu des contraintes liées aux taux d'intérêt, les banques exigent les budgets et bilans comptables des établissements. La non lisibilité des recettes à venir plonge les structures dans une grande détresse.
Concernant la PPL à venir et loi grand âge, ça devient l'arlésienne...
On la soutient à 200% depuis le début, mais on l'attend maintenant... avec des mesures réelles et lisibles qui engagent les opérateurs... mais je reste optimiste. C'est une question de contenu.
Le travail réalisé sur votre charte d'engagement et l'invitation à devenir société à mission porte-il ses fruits auprès de vos adhérents ?
On s'est donné trois ans, jusqu'au 31 décembre 2025, pour embarquer la totalité de nos adhérents dans ce process. On a connu un engouement massif (Ehpad et services à domicile) dans les tous premiers mois. 52% de nos adhérents avaient adhéré à la charte 5 mois seulement après son lancement. C'est un vrai succès. Et certains de nos adhérents appliquent déjà la totalité des référentiels. Mais d'autres peinent à cause de l'épuisement des équipes et le manque de personnels. Ces sujets de réflexion les éloignent du chevet du patient, ils ont du mal à entrer dans la dynamique. Mais il n'y a pas d'urgence. Je vais d'ailleurs me rendre sur le terrain pour les rencontrer et écouter leurs difficultés.
On voit des déshabilitations à l'aide sociale dans les Ehpad publics et associatifs pour redonner une capacité d'agir aux établissements. Êtes-vous également concernés ?
Depuis deux-trois ans, on vit un mouvement inflationniste en termes de charges d'exploitation ou de hausses de salaires sur tous les métiers. Ces augmentations consécutives sur des tarifs administrés ou non par la puissance publique créent une inadéquation entre l'évolution des recettes et l'explosion des dépenses. Cet « effet ciseau » met l'ensemble des structures en grandes difficultés car elles n'arrivent pas à compenser et équilibrer leurs charges.
Le tarif d'aide sociale est un tarif hébergement fixé par le Conseil départemental. Il n'existe pas de tarif moyen national aide sociale applicable et opposable aux départements. Chaque département, en fonction de ses budgets de fonctionnement, a ou non intérêt à ne pas augmenter les prix de journée « aide sociale » applicables aux établissements. Nous nous retrouvons dans des scenarios où les prix de journée aide sociale ne couvrent absolument pas les charges existantes et l'évolution progressive des charges. La seule possibilité pour les gestionnaires, quel que soit leur statut, est de ne plus avoir recours à l'aide sociale et d'appliquer leurs tarifs à l'entrée du résident, afin de bénéficier d'une marge de manoeuvre suffisante. Cela ne veut pas dire que tous les problèmes sont réglés les années suivantes.
La puissante publique nationale devrait imposer un tarif national suffisamment structuré pour absorber les charges normales et les évolutions annuelles. Mais tant que les prix de journée « aide sociale » pour l'hébergement varieront de 45 à 75 euros, cela ne pourra pas fonctionner.
Sur la partie soins et dépendance, il y a une convergence nationale, ce qui n'est pas le cas sur les tarifs hébergement.
Les Ehpad commerciaux ont été massivement contrôlés. L'état va-t-il trop vite ?
Il y a eu une vague importante de contrôles, sur sites et sur pièces. Pour l'instant, et à notre connaissance, il n'y a pas beaucoup d'injonctions graves sur les établissements privés. Nous demandons depuis des mois que soient publiés et consolidés les rapports de contrôle. Nous voulons accéder aux restitutions des organismes de contrôle. C'est important que le grand public connaisse ces résultats.
Après l'affaire Orpéa, nous avons été les premiers à demander des contrôles. Nous avons joué le jeu, nous attendons un retour. Jean-Christophe Combe nous avait assurés que nous obtiendrions un bilan. Il faut informer le grand public dont la défiance envers les Ehpad est majeure.