Dans le n° 47-juillet 2014  -  Interview Didier Sapy, FNAQPA  4152

Il faut sortir des logiques comptables !

Didier Sapy, directeur de la Fnaqpa, organisation représentative des maisons de retraite à but non lucratif, milite pour une réforme rapide du secteur. Rencontré lors du Géronforum organisé du 18 au 20 juin à Annecy (74), il a relayé pour nous les inquiétudes des gestionnaires d'établissements.

Vous avez envoyé un courrier au premier Ministre. Quel en est la teneur ?

Il concerne le projet de loi adaptation de la société au vieillissement afin de lui demander et d'essayer de lui démontrer que, dans notre secteur d'activité, il faut faire le lien entre cette loi et le pacte de responsabilité et de stabilité. Le pacte de responsabilité est une philosophie, une logique de relance économique, d'emploi, sur lequel le secteur a un rôle à jouer. En effet, il est potentiellement créateur d'emploi, d'aménagement du territoire et peut être extrêmement dynamisant. On le voit avec la Silver Economie, avec le développement de l'économie sociale et solidaire, sans écarter le pacte de stabilité parce que le secteur est potentiellement capable d'efficience dans la dépense publique. Pour cela il faut lui faire confiance, travailler en partenariat, le responsabiliser et dans ce cas-là il a déjà fait la démonstration - et il peut le refaire - il est capable d'efficience de la dépense publique. Et on pourra à partir de ce moment-là entrer dans une logique d'une vraie politique d'amélioration des conditions de vie des personnes âgées, non pas à un coût exhorbitant pour la société mais dans une logique macro-économique globale dont la société sera bénéficiaire. Et la dépense publique sera également bénéficiaire. C'est un cercle vertueux qui doit être basé, avant tout, sur une notion de responsabilité. Ce qui nous intéresse dans le pacte de responsabilité c'est justement ce mot et il est dans le projet associatif de la Fnaqpa.

C'est une nouvelle posture que nous appelons de nos voeux de la part des pouvoirs publics comme de la part de nos adhérents. Nous incitons à être responsables et engagés.

Si une deuxième loi touchait les Ehpad, ne faudrait-il pas revoir les conditions d'exercice de la profession, pour apporter un peu plus de liberté ?

Il faut faire quelque chose de beaucoup plus moderne et responsabilisant. Il faut une réforme mais ce n'est pas forcément une réforme coûteuse. Le système est à bout de souffle, les financeurs, les gestionnaires sont à bout de souffle. Il faut complètement réformer ce système. Il faut moderniser la gouvernance des établissements, moderniser la gouvernance du secteur par la puissance publique pour changer ses logiques et ses postures, dans un objectif de responsabilisation et d'efficience. L'efficience ce n'est pas un gros mot à la Fnaqpa. Sauf il ne faut pas, comme c'est malheureusement le cas quelquefois de la part ce certaines autorités, entendre efficience par économie de la dépense. L'efficience, ce n'est pas cela, c'est un rapport qualité-coût. Et dans un rapport qualité-coût il y a aussi des coûts de non qualité. Or aujourd'hui il y a beaucoup de coûts de non qualité dans le secteur du fait de logiques qui ne sont pas efficientes mais qui sont comptables. Il faut changer ces logiques comptables, avoir des logiques d'économies globales, dans un objectif d'efficience dont tout le monde sera bénéficiaire, notamment la puissance publique en tant que financeur et responsable de l'administration du secteur, les gestionnaires d'établissements et services, et en bout de course - c'est l'objectif final - l'amélioration de la qualité de vie des personnes âgées elles-mêmes.

Quels sont les problèmes les plus graves pour les gestionnaires d'Ehpad ou d'Ehpa ? Arriver à boucler le budget, avoir leur convention tripartite ?

C'est ne pas avoir de perspectives. Les problèmes budgétaires existent, ils ont évidemment des problèmes quotidiens à gérer, des responsabilités, des résidents, des familles, des exigences des uns et des autres, des problèmes de judiciarisation... Le quotidien est extrêmement compliqué mais au delà de ça ils sont capables de gérer cette complexité, et ils ont aussi la vocation de le faire... Mais aujourd'hui le plus grave, selon moi, c'est qu'ils n'ont pas de perspectives. On ne leur offre pas de vision. Ils ne savent pas ce qu'il va se passer. On les laisse dans l'incertitude la plus totale. Ils ont des contrats avec les autorités qui ne sont pas respectés. L'Etat ne respecte plus ses contrats. Les calendriers ne sont pas non plus respectés et il n'y a aucune vision prospective de ce que l'on va leur offrir en terme de politique générale et de gouvernance. Cela génère beaucoup d'insatisfaction, d'inquiétude voire pire, chez les gestionnaires et notamment chez les responsables d'établissements ou de services à domicile - avec qui la situation est également très compliquée. Dans les services à domicile la situation est encore plus grave qu'avec les établissements, sur le plan de la gestion, mais il y a des réformes en cours qui suscitent de l'espoir. Ce que je crains dans le secteur des établissements c'est que les gestionnaires se désespèrent. Il faut absolument que le deuxième volet de la loi voie le jour rapidement pour redonner de la perspective, de la vision, et un souffle à ce secteur qui en a bien besoin.

J'ai bien aimé dans votre Géronforum la place que vous avez accordée à Mme Perret* qui représente les résidents. On voit bien qu'à tous les niveaux la parole des représentants des résidents est réduite à des avis. Qu'en pensez-vous ?

Les personnes âgées sont souvent invitées à donner leur avis ou à praticiper à une table ronde. Nous avons voulu aller jusqu'au bout du raisonnement en faisant présider notre Géronforum par une personne âgée. Nous ne pouvons pas travailler pour elles sans elles. La présidence de Mme Perret est un geste symbolique mais pas seulement, parce que sa présence change le fond du débat. Sa présence permanente à la tribune, sa capacité à intervenir n'importe quand, change la manière dont certains intervenants prennent la parole. Ils ne peuvent pas garder un discours purement technocratiques devant la résidante. Autant ils pouvaient le faire devant les directeurs, autant ils ne peuvent plus le faire devant les résidantes. Cela change le regard et le fond du débat.

Propos recueillis par Patrice Lefrançois.

* Marie Perret, 88 ans, résidente dans un Ehpad à Lyon, est la présidente de l'association Liberté des Résidents en Institution (LRI).

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