Les tensions nées de la catastrophe pandémique vont-elles faire resurgir la guerre des générations ? C'est un thème qui monte dans les médias et dans l'espace public.
Intergénération ou nouvelles coopérations ?
Cette question vient s'appuyer sur un discours puissant qui cherche à focaliser les contradictions politiques, sociales et culturelles qui traversent le corps social sur la question des générations. Alors que l'alliance entre les générations peut apparaître comme une des rares structurations politiques et sociologiques positives du pays, les fractures générationnelles ne sont-elles pas en train de se renouveler à l'aune de la Covid ?
La catastrophe pandémique que nous traversons depuis plus d'un an a en effet libéré une parole « anti âge ». La Covid-19 restera le symbole d'une agression caractérisée contre les seniors, les aînés, les vieux, les fragiles...
Les plus âgés sont les principales victimes du virus. En France, selon le bilan de Santé publique France d'avril 2021, 81,6% des morts de la Covid à l'hôpital avaient plus de 70 ans (ils représentent 15% de la population). A 58%, ce sont des hommes (qui représentent 48% de la population totale). Au-delà de ces drames humains, les aînés ont dû aussi faire face à l'aggravation de leur isolement et à ses conséquences délétères. Mais si les seniors ont été protégés en priorité, certains les désignent comme responsables de la situation, fauteurs de crise économique au détriment des plus jeunes, causeurs de confinement, fragiles en trop, pousses au couvre-feu... Il y a toujours des volontaires pour tenter de (re)jouer la guerre des générations, des « guerriers » qui se reposent sur un discours centré uniquement sur l'âge comme facteur de fragilité face à la Covid.
Pendant plus d'un an, nous avons été abreuvés de paroles associant seniors et risques de mortalité face à la Covid. De manière continue, médias et médecins n'ont cessé d'expliquer que les jeunes étaient protégés et que ce n'était qu'une maladie de vieux...
Un risque de conflit
C'est dans ce contexte qu'un sondage Odoxa fait valoir, en 2021, que 58% des Français pensent qu'il y a un risque de conflit intergénérationnel[1]. La preuve établie que le choc des générations menace... Est-ce si évident ? Notons que la question posée ne peut que donner des résultats de ce type. D'abord parce qu'au regard de la déprime sociale française[2], chaque question sur notre avenir collectif induit un « ce sera pire »... Aucune raison qu'il en soit autrement pour l'intergénération. Sans doute que si la question avait été plus fine et plus expérientielle comme « dans votre expérience récente, avez-vous vécu ou été témoin d'opposition entre les générations ? », le score eut été différent.
Notons aussi que quelques mois auparavant, le même institut avait réalisé une enquête pour La Cohorte, revue de la société de la légion d'honneur. Elle montrait que 75% des Français estiment que les relations entre les générations tendent à s'affaiblir... En comparant les deux sondages, nous notons davantage une progression de l'optimisme que la question de l'intergénération...
Mais au-delà de ces sondages, de ces images et de ces discours, qu'en est-il vraiment ?
Avec le philosophe P.-H. Tavoillot, nous avions publié La Guerre des générations aura-t-elle lieu ? [3] Pour cet ouvrage, nous étions partis d'une enquête et des travaux multiples pour montrer la diversité des liens intergénérationnels et de formes plurielles d'alliances entre générations. Cette réalité reste-elle structurante, y compris après la catastrophe de la Covid ? Nous y reviendrons le mois prochain...
@Guerin_Serge
Professeur de sociologie à l'Inseec GE, directeur du MSc « Directeur des établissements de santé », président de l'Agence des MCA, auteur de Les quincados , Calmann-Lévy