Pour faire suite à mes deux dernières chroniques sur l'intergénération, je me centre maintenant sur ce qu'elle dit de l'évolution de la société.
Intergénération ou nouvelles coopérations ?
D'abord, la vision centrée sur les oppositions entre générations met sous le boisseau de l'idéologie la richesse et la diversité des manifestations de solidarité entre les générations. Celles-ci se développent en particulier dans la cellule familiale, y compris lorsqu'elle est recomposée. Elles sont aussi très actives dans l'ensemble des relations sociales. Combien de jeunes étudiants doivent à des grands-parents de pouvoir poursuivre décemment des études, combien de couples bénéficient d'un logement prêté ou loué à un tarif en dessous du marché ? Des aînés vont garder les enfants, aider à faire les devoirs ou encore procéder à des démarches administratives qui doivent se faire impérativement à des heures où la plupart des actifs travaillent. Ces interventions sont d'autant plus aisées que les seniors d'aujourd'hui sont mieux formés et plus habitués à la gestion administrative.
La solidarité de proximité se manifeste autant à travers le support d'associations, souvent soutenus par les bailleurs sociaux, que de manière informelle sous des formes d'auto-organisation entre voisins, résidents, membres d'une communauté...
La société a besoin d'intergénération et de fluidité
Lorsqu'une municipalité ou une entreprise de services décide d'agir en faveur du confort des aînés, loin de léser les plus jeunes, elle contribue au contraire à améliorer leur situation. D'abord, sur le plan du quotidien et de l'amélioration des conditions de vie. Car, insistons à nouveau, ces actions ne sont pas nécessairement réservées aux seules personnes âgées. Ainsi, améliorer l'accès aux bus dans une ville, par exemple en systématisant les plates-formes plutôt qu'un système de marches, favorise les plus âgés mais concerne aussi les personnes en situation de handicap, celles et ceux qui poussent un landau ou portent de lourdes charges, les enfants, les personnes qui portent des jupes longues...
Des personnes plurielles
La question de l'intergénération s'inscrit dans un contexte de revendications identitaires portées par des minorités sociales et ethniques. Ou effectuées en leurs noms. Cette approche réduit les individus à une seule caractéristique, comme la couleur de peau, la religion, l'âge... Sauf que nous sommes des personnes plurielles. La première édition de l'Observatoire des identités[1] montre que l'âge n'est pas la dimension première de l'identité. Ainsi, à la question « diriez-vous que votre identité repose d'abord sur... ? », l'âge ne vient qu'en 6e position, avec 16 % de citations. En premier, reviennent, avec 45 % de citations, « vos valeurs, vos idées », puis les expériences vécues (37%). La même étude montre, à la question « diriez-vous que vous vous sentez avant tout proche des personnes », la primauté d'une vision commune du monde, avec 58 % de citations. La génération et le milieu social suivent avec 33 % de citations. Bref, l'âge et la génération importent en tant que vecteurs de proximité mais ne paraissent pas devoir être des facteurs propres à enclencher un choc générationnel.
@Guerin_Serge
Professeur de sociologie à l'Inseec GE, directeur du MSc « Directeur des établissements de santé », président de l'Agence des MCA, auteur de Les quincados, Calmann-Lévy