La CNSA est pour Marie Anne Montchamp une institution originale qui exerce deux fonctions conjointes : la fonction de caisse et la fonction d'agence. Retour sur les missions d'un établissement public singulier, soumis à des enjeux d'envergure. Interview.
Interview Marie-Anne Montchamp : la politique de l'autonomie de la CNSA doit répondre aux attentes de nos concitoyens
Vous êtes présidente de la CNSA depuis 2017. Comment s'est créée la CNSA ?
Pour décrire la CNSA, il convient de revisiter les conditions de sa création. Au lendemain de la canicule de l'été 2003, notre pays s'est réveillé chaos debout, comptabilisant ses morts, pas moins de 15 000, des personnes âgées oubliées à domicile comme en établissement. Le législateur s'est saisi du sujet en décidant d'apporter des moyens à l'accompagnement de la personne âgée en perte d'autonomie par le don d'une journée de travail de l'ensemble des salariés. Pour garantir aux français ce fléchage de manière certaine, une caisse spécifique est créée par la loi du 30 juin 2004. Et pour être équitable, le législateur a choisi de consentir un effort symétrique aux personnes en situation de handicap puisqu'à l'époque se préparait la loi de 2005 et qu'il apparaissait assez cohérent d'adresser la question de l'autonomie aux personnes âgées comme aux personnes en situation de handicap.
Quelles sont les missions actuelles de la caisse ?
La CNSA assure le financement des politiques de l'autonomie à partir de l'agrégation de deux grands types de ressources : l'ONDAM médico-social qui représente 21 milliards d'euros, et des ressources propres issues de la solidarité nationale (Journée de solidarité, CASA, prélèvement sur les revenus du capital...) pour 5 milliards d'euros, soit un total d'environ 26 milliards d'euros. La CNSA est donc bien une caisse qui soutient la vie en établissements, à domicile, les allocations individuelles de solidarité, aide à l'investissement, à la formation des personnels... Mais elle est plus que cela. Elle est aussi une agence puisque les politiques d'autonomie de notre pays sont des politiques partagées, entre la puissance publique, les français qui par leur reste à charge y contribuent de manière non négligeable et surtout les départements qui assurent plus de 60% de la dépense autonomie. Cette fonction d'agence se retrouve notamment dans l'originalité du conseil de la CNSA qui rassemble, et ça c'est une innovation dans le système de protection sociale français, l'ensemble des parties prenantes : l'État, les départements qui orientent les politiques en fonction des réalités locales, les associations représentant les usagers, les organisations syndicales. La fonction agentielle s'est développée de manière différente en fonction des époques. Aujourd'hui, en tant que présidente de Conseil, je souhaite que cette fonction se modernise, se transforme pour que cette politique de l'autonomie réponde bien aux attentes de nos concitoyens, qu'ils en soient bénéficiaires, ou qu'ils soient les professionnels ou les financeurs qui y concourent.
La Caisse a été accusée de détourner les fonds de la CASA ?
Les professionnels se sont étonnés que les sommes non dépensées par la Caisse, pour toutes sortes de raisons, soient réinvesties par la puissance publique sur d'autres politiques avec pour conséquence de rompre cette garantie d'affectation de la ressource. Il y a deux grandes raisons à cela. La première est liée à la montée en charge des politiques. Entre le moment où une politique est décidée et celui où elle est effective (création d'un établissement, mise en oeuvre d'une mesure politique par exemple), il y a un effet d'inertie inhérent à la complexité de ces politiques. Parfois les raisons sont plus structurelles. Les dispositions légales peuvent être conçues de manière fragiles ou insuffisamment expertisées et conduire à des sous consommations nationales comme locales. La caisse doit y être attentive car elle n'a pas vocation à se constituer de fonds propres. Si une raison structurelle explique une disproportion entre la ressource et son emploi, c'est qu'il y a un défaut. C'est notre rôle de contrôler cet écart. Notons que la Cour des Comptes a souligné dans son dernier rapport la grande rigueur de la Caisse dans l'exercice de ses missions.
Vous avez insufflé davantage de concertation au sein de la Caisse. Notamment dans le dialogue avec les départements ?
Le Premier ministre a qualifié les politiques de l'autonomie de « politiques partagées ». Cela signifie qu'elles ne peuvent pas être le seul fait de l'État central. Les déterminants d'un territoire pèsent très lourd sur la situation des personnes qui y vivent. Ce n'est pas la même chose de vieillir sur le plateau du Larzac ou en centre de ville de Lyon. Si les difficultés, les souffrances, les aspirations sont identiques, les réponses apportées ne peuvent pas être de même nature. Elles sont fonction de l'organisation du soin, de la capacité d'accompagnement de la famille, de la présence de services de proximité... Pour construire ces politiques, la dimension de la contingence est apparue évidente. Répondre efficacement aux personnes, impose de connaître la situation du territoire.
Mais piloter des politiques partagées est un exercice difficile. Cette fonction agencielle de la CNSA permet d'installer un tiers de confiance, qui va assurer le financement, s'intéresser à l'équité de la réponse sur tout le territoire, proposer une approche robuste en évaluation et ne va pas se comporter comme une tutelle vis à vis d'un partenaire, le département, qui lui-même finance pour plus de 50% en moyenne cette politique-là. Les premières rencontres départements/CNSA organisées avec l'Assemblée des départements de France nous ont permis de poser les bases d'un pilotage vertueux.
Comment la CNSA entend-elle participer au débat sur le 5ème risque ?
Chaque année, le conseil de la Caisse produit une contribution prospective sur les politiques de l'autonomie. En accord avec le conseil qui a adopté cette mission à l'unanimité, nous avons décidé de réaliser ce travail prospectif sur trois années dans le cadre d'une réflexion séquencée en trois étapes. La première consiste à définir ce qu'est une société inclusive, un déterminant du modèle d'après. Nos concitoyens en perte d'autonomie ne doivent pas être dans une situation d'assignation à résidence. Nous devons réaffirmer leur place au coeur de la cité dans une relation inclusive de l'ensemble de la société française. La seconde traitera de l'approche domiciliaire. Les français aspirent à vieillir chez eux. Mais ce n'est pas parce qu'on ne vieillit pas chez soi que le domicile ne peut pas garantir la pleine citoyenneté et la vie en inclusivité des personnes. La troisième concerne le financement du modèle de protection sociale, un modèle qui évolue en fonction des besoins. Il doit être personnaliste. C'est la personne et elle seule qui dit ce qu'elle attend et énonce ce dont elle a besoin pour être conforme à ce qu'elle a toujours souhaité être. Il doit être solidaire, amenant les organisations publiques et privées à s'interroger sur la meilleure réponse pour tous, dans un souci d'équité. Il est contingent car il se situe là où les personnes vivent, dans les territoires. L'idée d'un modèle unique, imposant la même réponse à tout le monde, est une vision dont on voit bien qu'elle n'est pas satisfaisante car inatteignable. Il faut composer avec des situations contrastées. Il s'agit d'un défi pour notre imagination républicaine.