Dans le n° 64-janvier 2016  -  Louis Ploton, psychiatre et chercheur en gérontologie  5298

J'aimerais que l'EHPAD donne des raisons de vivre aux résidents

Professeur émérite, de l'Université de Lyon II, et psychiatre, auteur d'une douzaine de livres, Louis Ploton continue d'écrire et d'accompagner des étudiants pour préparer leur thèse. Comment aborde-t-il le vieillissement, le déclin cognitif, l'entrée en EHPAD ?

Sur quels problèmes avez-vous travaillé ?

J'ai beaucoup travaillé avec les malades d'Alzheimer, sur les modes de communication de ces personnes, leur vie affective, les questions de thérapie de groupe.

Vous avez publié un livre avec Boris Cyrulnik sur le concept de résilience des personnes âgées ?

Je participe depuis 15 ans à un groupe totalement pluridisciplinaire de 17 personnes, dont Boris Cyrulnik, Antoine Lejeune, etc, qui, tous les trois mois, travaillait sur le concept de la résilience des personnes, mais aussi des territoires...

Par exemple: que devient une région après une catastrophe? Y a-t-il un nouveau développement et ce développement est-il la prolongation de ce qui se passait avant ? Car la résilience est considérée comme l'apparition d'un nouveau développement, original, après une catastrophe ou un traumatisme et non pas la poursuite de ce qui était avant. Ce n'est pas le retour à la case départ, ni une cicatrisation, c'est plus qu'une adaptation, c'est prendre appui sur ce qui s'est passé pour faire du neuf ou de l'original.
Pour la résilience d'une personne âgée, je donne cet exemple : une dame âgée dont le mari a fait une maladie d'Alzheimer - ce qui est une catastrophe pour elle car elle pouvait une fois à la retraite avoir la vie heureuse imaginée - se liquéfie puis se met à adhérer comme militante à une association de défense des malades puis devient présidente de cette association pour enfin présider la fédération Alzheimer. Elle fait alors un parcours de lobbyiste convaincue et convaincante dans des instances représentatives. Elle a ainsi trouvé un épanouissement imprévisible en faisant terreau d'une catastrophe personnelle.

La vieillesse expose à de nombreux traumatismes ?

On peut subir son vieillissement ou tenter d'en faire quelque chose. Le plus mauvais cas de figure ce sont les vieux qui, pour réussir leur vieillissement, se déguisent en jeunes. On peut revendiquer son vieillissement et trouver un confort de vie grâce au rôle de l'expérience acquise, avec des capacités de distanciation. On peut même se refaire une "virginité" dans le vieillissement : je connais des gens qui ont eu des parcours de vie contestables et qui deviennent des grands-parents modèles. Je pense à ce propos à une dame qui était maltraitante avec ses enfants et qui s'est fait une identité de grand mère idéale avec ses petits enfants - comme s'il était possible de recommencer quelque chose dans le vieillissement avec une nouvelle identité. Parce qu'il n'y a plus la même pression, les mêmes enjeux.

Mais pour réussir son vieillissement il y a des tâches à accomplir : se mettre en cohérence, se réconcilier avec soi-même, tout comme, mais c'est le plus difficile, avec les gens qui sont morts...

N'est-ce pas une période d'analyse de sa vie ?

Oui, dans le grand âge on peut reconnaître ce qui a été positif et ce qui a été négatif, autrefois. J'ajouterai qu'il n'y a pas d'âge pour faire une psychothérapie ! Etre vieux c'est aussi le moment où on doit penser à la trace qu'on laisse. Car, malgré soi on va servir de référence et de modèle, soit explicite soit implicite. Or, la question de l'autonomie se conjugue avec celle de la responsabilité. Et on est responsable de l'image qu'on laisse... De vieilles dames âgées me disent qu'elles ne servent à rien... Je leur dis qu'elles servent de référence dans la façon de vieillir. Il y a une responsabilité des vieux. Le vieux qui se suicide, assisté ou non assisté, ouvre une brèche... Nous savons tous que dans une famille un suicide rend un second beaucoup plus facile à réaliser. C'est comme si on brisait un tabou dans la famille. C'est pourquoi les psychiatres redoutent les familles à suicides.

Un façon de réussir son vieillissement peut consister à se dévouer pour ceux qui continuent et une façon de se dévouer est d'accepter de rentrer en EHPAD. En considérant l'entrée en EHPAD comme un dernier acte parental de dévouement pour rassurer tout le monde.

Que pensez-vous des EHPAD ?

Il y a le meilleur et le pire. Il y a un mode d'adaptation qui est la soumission qui est souvent le seul qui soit toléré dans bien des EHPAD. Il conduit de fait à une sélection de survivants qui sont ceux acceptant de se soumettre... C'est bien désolant. Ce que j'aimerais c'est que l'EHPAD s'applique à consoler les personnes. Ce n'est pas la même chose. Plutôt que d'essayer de détecter la dépression il faut donner des raisons de vivre aux gens...

Mais, chose toute simple, j'ai eu beaucoup de mal à obtenir qu'il y ait un soignant dévolu à être assis avec les personnes dans la salle commune au moment où les autres soignants sont dans les chambres. Et pourtant tout change au niveau du confort quand il y a un soignant pour rassurer le groupe, pour être là, servir des boissons, parler aux gens, aller vers ceux qui en ont le plus besoin, être un pôle d'attraction, et surtout pour éviter le sentiment d'abandon qui conduit aux troubles du comportement. Paradoxalement c'est plus difficile à obtenir que de faire les toilettes supplémentaires, de mettre en place ce lieu central, qu'on pourrait appeler "un PASA de jour informel" où l'on est sûr de trouver quelqu'un d'attentif..

N'est-ce pas un rôle pour des bénévoles dans l'établissement ?

Il faudrait qu'il y en ait suffisamment et qu'il n'y ait pas de trous dans leur emploi du temps. C'est intéressant l'implication des bénévoles : mais qu'est-ce qui est accepté par les équipes comme aide ? Est-ce qu'elles acceptent par exemple une aide au moment des repas ? J'ai vu des soignants pressés déplacer les personnes, sans leur dire pourquoi. Il faudra un jour se faire aider par des bénévoles, à condition de les encadrer, de les former.

La stimulation des facultés cognitives est-elle une bonne chose ?

Ca risque surtout de persécuter les gens ! Certes au début des pertes cognitives, les gens adorent faire des exercices de mémoire, etc. A ce propos dans une étude réalisée dans le Val de Saône nous avions trouvé 75% de personnes vivant en EHPAD qui avaient un déficit cognitif considéré comme pathologique, ce qui implique de faire quelque chose, mais quelque chose qui leur propose d'investir la vie de relation, plutôt que de leur faire faire des exercices. Car il apparait qu'à un certain stade, la stimulation cognitive leur pourrit la vie. C'est pourquoi à la stimulation j'oppose la motivation qui, elle, passe par le lien affectif, par l'intérêt qu'on leur porte.

Vous n'êtes pas pour l'introduction de robots ?

Cela peut être amusant mais j'aime mieux l'introduction d'un vrai chien que d'un robot. Le vrai est mieux que le factice. Le robot aide-soignant, je ne sais pas ce que cela pourra donner, or des gens y travaillent. Mais l'électronique peut rendre de précieux services par exemple pour que les résidents puissent privatiser leur chambre. Or en EHPAD la nuit est un grand moment d'angoisse, parce qu' on ne peut pas s'enfermer dans sa chambre.

Mieux que la question des robots il y a une approche méritant d'être développée c'est l'apport du psychologue clinicien. Actuellement le rôle qui leur est trop souvent dévolu est le maintien de l'ordre, alors que leur rôle devrait être, avec le directeur, le médecin et le cadre de santé, d'inventer des fonctionnements pour travailler ensemble sur des façons de faire. Le rôle du psychologue est notamment d'aider les soignants à garder leur capacité de penser, d'analyser, de comprendre. Aussi, s'il y a une seule procédure importante en établissement c'est de savoir qui doit se réunir avec qui et quand, pour réfléchir à ce qui se passe et pour prendre des décisions. Car les décisions ne devraient jamais se prendre dans les couloirs.

Je pense que si on ne consulte pas les psychologues 50% des choses risquent d'être faites avec de bons sentiments mais sans les connaissances nécessaires et 50% du soin devient aléatoire, quand il n'est pas tout simplement oublié.

A ce propos une thèse d'un doctorat en psychologie a fait une étude sur le discours informel des soignants, avec la question : qu'est-ce qui de votre point de vue témoigne d'une aggravation de l'état chez les malades d'Alzheimer? Les soignants ont répondu: le fait qu'ils demandent plus de travail et dérangent plus. On peut comprendre les soignants mais on ne peut pas réduire l'aggravation à cela. Il y a aussi des gens qui souffrent en silence.

Faut-il inciter tout le monde à rester à domicile ?

J'ai été pendant longtemps un idéologue du maintien à domicile. Mais je me suis aperçu que cela avait ses limites, notamment la question de la peur des proches mais aussi de l'angoisse des intéressés. Or, après l'angoisse il y a la confusion. Et à un certain moment ce n'est plus tenable. Le patient se met en danger (chutes etc.) et les proches ne vivent plus. A ce propos je voudrais souligner la nécessité pour les proches d'accepter de déléguer des tâches aux professionnels, à domicile et en établissement quand on a atteint les limites du domicile. Mais déléguer implique que les professionnels puissent faire "à leur façon".

Bio express

Louis Ploton est né en 1943 à Lyon.

Psychiatre, professeur de gérontologie à Lyon 2

Spécialiste de la maladie d'Alzheimer.

A publié, entre autres : "Ce que nous enseignent le malades d'Alzheimer", "Accompagner la maladie d'Alzheimer", "Résilience et personnes âgées" (avec Boris Cyrulnik), "La personne âgée", "Accompagner un proche en Alzheimer", "Maladie d'Alzheimer. A l'écoute d'un langage"...

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