Au Domaine de la Grange de Savigny-le-temple, la restauration conjugue plaisir et nutrition autour du projet de vie. Entre saumon à la vanille, compléments hyper-protéinés et nouveaux chariots de service, l'équipe soignante passe à table.
Jouer la carte de la restauration
Pour les personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer ou des maladies apparentées, manger est un acte qui est tout sauf anodin. Le groupe familial Solemnes l'a bien compris. Aussi, au Domaine de la Grange de Savigny-le-temple (77), un EHPAD accueillant uniquement des personnes désorientées, on prête à la restauration une attention toute particulière : petites salles à manger familiales, plan de table à géométrie variable, régime adapté et même gastronomie, le tout avec la complicité du prestataire* et de son chef cuisinier Meilleur Ouvrier de France. Ici, si la fonction Restauration est sous-traitée, le partenariat l'emporte sur la relation client-fournisseur, les mots d'ordre sont communs : plaisir, réminiscence et prévention de la dénutrition.
Le parc est arboré et calme. Pourtant côté restauration, la réflexion est permanente. " Chez Solemnes, commence Nicolas Salandini, directeur du Domaine de la Grange, la restauration s'inscrit dans une logique d'univers familial, qui tranquillise le résident. " L'établissement est structuré en appartements - ici, on ne dit pas " unités " - de 13 chambres ouverts les uns sur les autres, permettant une libre circulation. Les appartements, situés sur quatre niveaux, disposent chacun d'une salle à manger et d'une cuisine d'appoint. Avec des tables rondes prévues pour 4 à 5 personnes, des nappes pour marquer le dimanche, des assiettes à bords relevés pour faciliter l'utilisation des couverts, le ton est donné. Chaque résident s'installe, dans sa salle à manger de référence ou dans un autre, en fonction de ses affinités ou de son envie du moment ! " D'une façon générale, la libre circulation a de nombreux bienfaits, complète Francine Beaufils, médecin-coordonnateur. Plus de mouvement, plus d'équilibre, de tonus, plus de muscle, plus de lien... C'est un des facteurs qui engendrent une diminution des prescriptions médicamenteuses. "
La pièce maitresse du dispositif est la collaboration avec le prestataire et son chef cuisinier Robert Chanteloup. Impliqué dans le projet d'établissement, l'homme est en poste depuis quatre ans. Après 27 ans de gastronomie, il suit avec attention le régime de chaque résident, un régime adapté à son projet de vie, à ses capacités physiques, ses contraintes médicales, ses goûts. Mais attention ! Si Robert Chanteloup satisfait les demandes de tripes ou blanquette de veau, transmises par l'équipe soignante, il ouvre aussi de nouveaux horizons culinaires. " J'ai essayé d'adapter la gastro à la cuisine collective, souligne-t-il avec fierté. Le saumon à la vanille et la joue de boeuf au chocolat ont un grand succès. Les mélanges sucré-salé aussi : les résidents apprécient le porc à l'ananas ou le riz Madras et ses fruits secs. " Les recettes du chef sont servis à tous, que le régime soit " entier ", " haché" ou " mixé ". " Toutes les textures modifiées partent du plat chaud, insiste Robert Chanteloup. Les résidents ne sont pas perdants : les saveurs sont plus prononcées dans les produits mixés fins. "
Une théorie confirmée par le succès des verrines lors des fêtes qui réunissent familles et amis dans l'établissement... Il faut dire que 90% des produits utilisés sont frais et les repas préparés sur place sont envoyés en liaison chaude dans des appartements. Tous les essais ne sont pourtant pas transformés : ainsi les calamars, à l'instar des saumonettes, n'auront fait qu'une seule apparition sur les tables. De même, la suppression du potage a fait long feu et désormais hiver ou été, le potage est invité au quotidien.
Pour que le résident consomme 2 000 calories par jour, même le sur-mesure est envisageable : ainsi une résidente réunionnaise a pu manger (pour son plus grand plaisir) de la semoule tous les jours pendant des mois ! De plus, le cuisinier saupoudre tous les plats de sucre avant de les servir car que le sucre est un exhausteur de goût. Les repas à thème, mensuels, sont une autre astuce : soirée sud-ouest, soirée Afrique pendant la Coupe du Monde de foot, animation pique-nique - là encore pour tous, le souvenir ou la découverte de nouvelles saveurs... Pourtant le plaisir cache un autre objectif : prévenir la dénutrition ou faire revenir les personnes dénutries à un état " normal ". Ici 50% des résidents sont dénutris et un régime de 4 000 calories s'impose.
Reste alors à l'équipe à concilier déambulation et alimentation. Pour cela le cuisinier travaille de près avec l'équipe soignante. " Je prépare des compléments alimentaires (entremets,...) à base de crème, fromage, poudre de soja, ils sont accessibles partout sur demande aux aides-soignantes", confie-t-il. " Et si le résident est fortement dénutri, renchérit le médecin-coordonnateur, les équipes tracent le suivi alimentaire et proposent des produits pharmaceutiques hyperprotéinés."
A la veille de l'extension de l'établissement : 50 chambres supplémentaires, la fonction Restauration va encore évoluer. De nouvelles chambres froides vont être créées en sous-sol, et pour le transport dans les salles à manger, des chariots-service vont remplacer les containers. " Les containers étaient des objets peu référents pour les résidents, argumente Nicolas Salandini. Les nouveaux chariots vont aider la stimulation sensorielle. Les plats seront visibles et grâce au chauffe-assiettes et au bain-marie, ils seront toujours servis chauds... " Mieux, les odeurs, dont le pouvoir de réminiscence n'est plus à démontrer, permettront au résident de se repérer dans la journée et à l'appétit de se développer. Bientôt aussi les bavoirs seront remplacés par des tabliers et une nouvelle vaisselle, définie avec