A l'hôpital Charles-Foix, on porte un regard original sur l'animation. Place à l'animation au chevet du patient, place au lien social, place à la culture à l'hôpital !
L'art à l'hôpital (ou quand l'animation change de ton)
Mardi après-midi. Dans les couloirs du Pole SLD de l'hôpital Charles-Foix (Ivry, Val-de-Marne), un drôle d'équipage circule. Un homme porte une guitare, une femme une clarinette, une autre femme tire un cabas à roulettes. Qu'on se rassure, le trio ne s'est pas trompé d'adresse. Il vient juste porter la bonne parole musicale au chevet des patients. " A Charles-Foix, l'animation personnalisée est un préalable à l'animation collective, explique André Fertier, musicien, compositeur, référent culturel, membre du comité culturel de Charles-Foix et responsable de l'Espace Musique. Mettre la personne au centre de l'animation, c'est la meilleure façon de rentrer en contact avec elle. La musique est un bon support. Elle ne demande pas obligatoirement de repères cognitifs, juste de la sensibilité... " Aujourd'hui, après discussion avec l'équipe de soins, le trio va voir deux patientes dans une chambre double. Deux dames de 85 ans, qui souffrent de démence. Bonjour, nous sommes venus chanter, comme mardi dernier, commence Cathy la clarinettiste aide-soignante faisant fonction d'animatrice. Qu'est-ce qu'on chante aujourd'hui ? " ... André Fertier s'installe sur une chaise, Cathy pose son chevalet et ses partitions. Chantal la bénévole de l'association VMEH (Visite aux Malades en Milieu Hospitalier) sort un gros classeur de son caddie. La question est restée sans réponse. " Vous alliez dans les bals, vous dansiez le tango ? " tente Chantal en prenant la main de la patiente. " Oui ", dit la dame. C'est alors parti pour " Le plus beau tango de tous les tangos du monde ". Les voix résonnent, les dames murmurent. On enchaine avec la " Java bleue ", " Bambino ". " C'est gai, j'en veux des chansons comme ça ! " lance une des deux patientes. Quand elle entend La Bohême, l'autre dame serre la main de Chantal. " Mon père, il a vendu son jardin..." lui dit-elle. Ce sera difficile d'en savoir plus... " La connexion est là mais nous n'avons pas le temps de faire sortir les patients de leur évasion mentale " regrette la bénévole.
Il faut donc composer un répertoire qui parle au patient. " Nous choisissons des chansons que les personnes ont entendues dans leur adolescence, à l'âge des premières amours, illustre André Fertier. Mais pas seulement. Ainsi une de nos patientes de 90 ans, adore Joe Dassin... elle est persuadée qu'elle l'a connu quand elle était jeune. " Les musiciens s'appuient aussi sur la famille. " Une dame parlait souvent des Andes, poursuit le guitariste, je me suis renseigné auprès de son fils : elle y avait fait un voyage. Nous avons trouvé des airs andins. "
" La culture n'est pas liée à un créneau horaire ! "
Une des patientes demande quatre fois de suite à l'équipe de chanter " Du gris qu'on roule entre les doigts... ". En effet, à peine entendue, la chanson est oubliée. Pourtant dans les couloirs quelques jours plus tard... " Vous êtes le musicien !" dira la même dame au guitariste. Parfois la parole, qui a disparu, revient avec la chanson. Parfois aussi, le résident, réfractaire à une animation collective, finit par rejoindre un groupe, s'approprie un instrument dans l'Espace musique. Une demi-heure passe, parfois plus, parfois moins. Car dans l'animation au chevet du patient, les repères se créent dans l'instant. L'essentiel est d'oublier la relation soignant-patient, de créer du lien et de mettre quelques grammes de culture et d'art dans la journée. L'accès à la culture, c'est bien là le cheval de bataille du référent culturel ! " Dans la vie la culture n'est pas liée à un créneau horaire, résume celui qui porte les valeurs du précurseur René Laforesterie, psychologue aujourd'hui retraité. On lit et on écoute de la musique quand on veut, pas une demi-heure par semaine ! Les médiathèques de ville devraient s'impliquer. Il faudrait du portage de livres - cela existe pour le domicile !-des radios murales... C'est aux institutions publiques de faciliter l'accès à la culture pour tous ! "
En attendant, Charles-Foix développe des actions d'animation, de loisirs et culturelles. Ainsi, quatre résidents peignent dans leur chambre. Dans celle de Bernard Faucheur, 80 ans, le mur est couvert de tableaux, le bord de la fenêtre de pots de peinture. " Quand ce résident est arrivé, raconte André Fertier, il n'avait pas pris un pinceau depuis 60 ans alors même qu'il est diplômé des Arts appliqués. Au fil du temps, il s'est transformé. Pour sa fille, cela a été une découverte ! " Et d'ajouter que ce n'est pas en séances d'art-thérapie que le patient aurait pu produire autant... B. Faucheur a récemment exposé, vendu sept toiles ; il écrit et chante. " Il est plus moteur que moi, sourit André Fertier. Il sait quelles chansons touchent les résidents. " Création, émotions donc... et aussi transmission du patrimoine culturel. Ainsi la SACEM a dénombré six chansons non encore répertoriées sur un des CD réalisés par les patients ! Il y a aussi la présence d'un artiste peintre, Colin Cyvoct, qui dispose d'un atelier sur place depuis plusieurs années (l'hôpital est précurseur dans ce domaine). " Il ne s'agit pas de fournir un nouveau sujet d'inspiration aux artistes, insiste André Fertier, seulement de faire entrer l'art à l'hôpital." Les résidents pénètrent donc à leur guise dans l'atelier, certains parlent avec l'artiste, d'autres pas, comme dans une galerie. Et surtout comme dans la vraie vie.