« Quelles réponses les hygiénistes peuvent-ils apporter aux particularités des Ehpad ? » : une étude souligne les enjeux de la prévention du risque infectieux dans des structures de vie collective.
L'entretien des locaux au défi du risque infectieux
La crise Covid a été un puissant accélérateur de la prévention du risque infectieux en Ehpad mais a aussi amplifié (et parfois radicalisé) le débat Ehpad lieu de vie/lieu de soins. Dans une intervention titrée « Quelles réponses les hygiénistes peuvent-ils apporter aux particularités des Ehpad ? », Pascale Chaize, cadre de santé au sein des équipes mobiles d'hygiène (EMH) d'Est Hérault et Sud Aveyron, et Catherine Chapuis, médecin hygiéniste des équipes interétablissements des Hospices Civils de Lyon, se sont adressées à leurs collègues du sanitaire lors du congrès 2022 de la Société française d'hygiène hospitalière. Elles leur ont exposé cette délicate ligne de crête en Ehpad : tenir compte des particularités sans transiger sur les précautions standards. Cette intervention vient de faire l'objet d'une publication dans la revue Hygiènes[1].
La méthode des 5M
Les deux spécialistes se sont appuyées sur l'expérience terrain des deux EMH dédiées aux Ehpad à l'aune de la méthode dite des 5M : milieu, méthodes, matériel, management, main-d'oeuvre. Aussi appelée diagramme d'Ishikawa, elle permet d'identifier les problèmes potentiels (ici les risques infectieux) et d'utiliser les bons leviers de résolution (la maîtrise des risques infectieux).
Résultat ? Une étude originale, avec plusieurs entrées entrecroisées. Nous retenons celle sur l'entretien des locaux. Les autrices soulignent « le turn-over très important des professionnels » avec « des difficultés de mise en oeuvre conforme de certaines techniques d'entretien des surfaces hautes et du sol ». Par ailleurs, l'entretien de la chambre des résidents est partagé entre l'équipe soignante et l'équipe hôtelière avec des risques de dysfonctionnements entre les deux. Enfin, et pour résumer leur propos, il est difficile de se contenter des fiches techniques des fournisseurs en lieu et place des protocoles ou de l'accompagnement à la prise en main d'un chariot d'entretien x ou d'une centrale de dilution y en guise de formation. « Ainsi, on observe encore fréquemment l'utilisation d'une bombe désinfectante au départ du résident », déplorent les autrices.
Elles soulignent que « les référentiels existants sur l'entretien de l'environnement sont peu argumentés par rapport au risque infectieux » et que l'équipe d'hygiène « a un rôle stratégique » d'aide au choix des produits et des techniques d'entretien des locaux : « ainsi, la méthode vapeur, rarement proposée, peut avoir de l'intérêt pour certaines équipes ». Elles écrivent aussi qu'actuellement « la prise en compte du développement durable nous incite à orienter les établissements vers l'abandon de la chimie pour l'entretien des sols (hors cas particuliers). Concernant les surfaces hautes, la pandémie a mis en avant l'importance du choix d'un détergent désinfectant virucide répondant à la norme NF EN 14476+A2 ».
Les précautions standards
Pascale Chaize et Catherine Chapuis insistent sur un important point de vigilance : la gestion des excreta. Elles se réfèrent de manière détaillée au mauvais bilan d'un audit national de 2019 incluant 384 Ehpad, alors que 75 % des résidents sont incontinents et 16 % utilisateurs d'un dispositif de recueil des excreta. « L'équipe d'hygiène doit se pencher sur le risque fécal et conseiller les décideurs au sujet de leur politique d'équipement », résument-elles. En pratique, elles leur conseillent d'auditer les moyens et les pratiques puis de proposer l'outil médico-économique de gestion des excreta Gex-Simulator du réseau national des CPias. À ce sujet, Pascale Chaize et son équipe ont aussi audité les toilettes dans les Ehpad qu'elles accompagnent. Les résultats ont également été publiés par Hygiènes[2]. La sous-estimation du risque fécal y est de nouveau pointée, avec « une absence de moyens en locaux et matériels ».
Tenue professionnelle, absence de bijoux, port du tablier à usage unique pour les soins souillant et mouillant... Les précautions standards sont à respecter comme dans le sanitaire, insistent Pascale Chaize et Catherine Chapuis. Elles l'argumentent dans un intéressant passage sur les valeurs : le « comme à la maison » ne peut pas, ne doit pas conduire à « un rejet du sanitaire ». La quadrature du cercle ? La solution passe sans doute par le sur-mesure : « l'intervention des hygiénistes en Ehpad doit être pragmatique, proche du terrain, avec un programme sur mesure, adapté à chaque structure. L'objectif est d'allier prévention du risque infectieux avec maintien de la vie sociale et familiale des résidents et de leur liberté d'aller et venir », écrivent-elles en conclusion.