La transition démographique inédite que nous vivons, conjugue allongement de la vie, croissance du nombre de sexagénaires et changement dans les manières de vivre sa seniorité. Elle se déroule sur fond de contraintes budgétaires, de raréfactions des moyens publics destinés aux plus âgés et de rapports tendus avec les institutions. Ces faits sociaux influencent largement la problématique de l'habitat.
L'habitat se place au coeur de la société de la longévité
Si trop longtemps, on a pensé de manière binaire "maintien à domicile" contre "tout ehpad" pour faire face au vieillissement de la population, il ressort aujourd'hui que le désir affirmé de la Silver Génération est , au contraire, de bénéficier d'une diversité des possibles.
Si la demande majoritaire des seniors vise à vieillir chez soi, il n'en reste pas moins que 888 000 silvers vivent dans des habitats collectifs. Ce sont d'abord les 570000 âgés qui sont hébergés en maisons de retraite médicalisées et les 165000 qui sont en établissement de soin long séjour. Sans compter les 153 000 qui vivent en résidences autonomie (logement social) ou en résidences service. Il y a fort à parier que la demande va aller croissante pour des solutions hybrides, diversifiés, "hors les murs", partagées...
L'habitat est donc au coeur de ces mutations. D'autant que c'est un élément central de l'identité des plus âgés. S'il est adapté aux évolutions physiques des personnes concernées et inséré dans un espace de vie sécurisant permettant de conserver, voire dynamiser, la sociabilité, il contribue de manière décisive à vieillir au mieux. Cela implique le plus souvent qu'un professionnel assure une présence et une animation de la vie sociale.
Il doit être soutenu, si possible, par une mobilisation du tissu associatif mais aussi des collectivités proches (ville et département) et du secteur privé.
Mais que l'on pense établissement médicalisé, habitat accompagné ou domicile, il est nécessaire de penser un écosystème global : transports, bancs, éclairage public, lieux d'aisance, sécurité, participation sociale des seniors... c'est tout l'espace public, tout le quartier, tout le village, toute la ville qui doit d'adapter. Au-delà, on ne doit pas s'interdire l'innovation dans l'habitat et dans les établissements d'accueil: formules d'habitat regroupé, démarches intergénérationnelles, organisation de partages de services entre résidents, mutualisation d'équipements et de locaux, ouverture des résidences autonomie vers l'extérieur, mobilisation des habitants pour des travaux collectifs afin de réduire les charges locatives...
Au sein des maisons de retraite médicalisées, comme des résidences autonomies, l'innovation technologique et sociale doit accompagner -dans la mesure du possible et en fonction des publics accompagnés- l'ouverture vers l'extérieur, permettre au voisinage comme aux familles de venir se restaurer, faire de la gym ou participer à des activités organisées sur place. De la même manière, ces lieux devraient être des plates-formes pour dispenser des soins, des conseils, de la prévention.... Face au manque de moyens et à l'évolution des attentes des personnes et de leur entourage, il y aura de plus en plus de formules "à la carte", permettant, par exemple, une forme de résidence alternée entre la maison de retraite et le chez soi (ou dans la famille).
Là encore, il faudra d'abord faire la révolution dans les têtes... et dans les normes.
Il faut penser l'habitat comme l'établissement avec ses pieds et avec son ordinateur! En effet, ce qui compte c'est l'environnement proche en termes d'offres de services et de commerces, de sécurité et de bonne ambiance. De leur côté, les technologies numériques permettent de rapprocher la personne de différents services, en particulier de santé ou de culture et de loisirs.
L'enjeu est de trouver le meilleur compromis possible entre l'exigence de surveillance et de sécurisation des personnes- qui parfois peut tutoyer des formes proches du carcéral en s'appuyant sur les possibilités technologiques- et la nécessité d'accompagnement personnalisé et bienveillant. Il n'y a pas de recette miracle, il y a des femmes et des hommes qui doivent être soutenus, formés et accompagnés pour les aider à faciliter au mieux la vie quotidienne des personnes fragilisées.
Serge Guérin
Sociologue
Professeur à l'INSEEC
Auteur de "Silver Génération. 10 idées reçues à combattre à propos des seniors"