Le collectif de travail est indispensable pour « tenir » et « bien faire », souligne une étude socioéconomique sur les métiers du care que ce soit à domicile ou en Ehpad où s'invitent des « acteurs additionnels » : les familles.
L'isolement hors... et dans le collectif de travail
Le salarié est bien souvent au coeur d'un noeud de relations nécessaires, pas seulement hiérarchiques mais aussi entre collègues et avec le public, usagers ou clients. C'est à travers ce prisme, et en ciblant les travailleurs peu ou pas qualifiés, que les chercheurs du Centre lillois d'études et de recherches sociologiques et économiques (Clersé, laboratoire du CNRS/Université de Lille) viennent de publier un rapport[1] commandé par la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) du ministère du Travail. Avec pour angle, la prévention des risques psychosociaux.
Coordonnée par François-Xavier Devetter, socioéconomiste connu pour ses travaux sur les conditions de travail et la qualité des emplois, l'équipe de chercheurs y consacre un important volet aux métiers du vieillissement (chapitres 5 et 6) avec la double thématique du collectif de travail en établissement et à domicile et, en Ehpad, la relation de service face à un « double bénéficiaire », résident et famille.
Une organisation du travail à repenser
Mauvaises conditions de travail, bas salaires... Le manque d'attractivité des métiers du vieillissement est bien connu, mais « la faiblesse des collectifs de travail est plus rarement mise en avant », note le Clersé. Les chercheurs se sont appuyés sur les données quantitatives issues de l'enquête « Conditions de travail et risques psychosociaux » de la Dares de 2016 et surtout sur une enquête qualitative menée au sein d'Ehpad et de services d'aide et d'accompagnement à domicile.
Ce n'est pas une surprise, l'isolement des salariées est une constante à domicile avec « un émiettement sur des temps et des lieux éclatés ». Mais même en Ehpad les salariées ne bénéficient pas toujours des avantages d'un réel collectif de travail au sens entendu par les chercheurs : « tout espace collectif, permettant des rencontres, des discussions, des échanges de pratiques, des prises de recul, entre collègues, entre salariés pouvant occuper différentes positions, différents postes, dans une même organisation, dans un même service ».
Pourtant, écrivent-ils, « si le collectif de travail est souvent fragile dans le secteur médico-social et les métiers liés au vieillissement, il n'en apparaît pas moins nécessaire : d'abord pour "tenir" au travail mais également pour "bien faire" son travail ».
En cause : le manque récurrent de personnels et des effectifs souvent peu stabilisés.
Les directions et les encadrantes rencontrées en Ehpad ou en Saad ont convenu d'une organisation du travail à repenser. Des choses sont tentées malgré un contexte de manque de moyens et de tension sur les effectifs.
Rendre positive la relation triangulaire
Les chercheurs soulignent les spécificités des métiers du care « parce qu'ils s'inscrivent dans un type bien particulier de relation de service qui s'écarte des logiques, mieux connues, du soin médical ou de la relation marchande ». Et encore plus particulièrement dans les Ehpad, en ce qu'il peut renvoyer à la dualité des bénéficiaires : le service s'adresse en effet d'abord aux personnes vulnérables mais également à leur entourage. Le Clersé a donc questionné, à partir du rôle des familles dans les Ehpad, l'impact de « ces acteurs additionnels à la fois extérieurs mais très présents » sur les conditions et l'organisation du travail des professionnels du « prendre soin ». Ils ont réalisé une enquête de terrain en 2019 et 2020 dans six Ehpad et un établissement de soin de suite et de réadaptation et mené quarante entretiens.
Ainsi, pour certaines salariées la présence et l'aide apportées par les familles leur permettent d'avoir plus de temps pour se consacrer à d'autres tâches, ou à d'autres résidents. Mais leur présence peut générer un travail considéré comme supplémentaire et potentiellement illégitime car elles ne sont pas directement considérées comme les destinataires du service à produire. La relation aux familles est alors parfois plus difficile à gérer pour les salariées qu'avec les résidents. La présence des familles engendre plus de stress, notamment en raison de risques juridiques réels ou supposés.
Trois fonctions sont ainsi mises en évidence : un rôle de critique externe, un rôle dans la codétermination du besoin et enfin un rôle direct dans le travail lui-même. Les chercheurs soulignent l'ambivalence de ces interactions et concluent en esquissant les pistes de ce qui semble nécessaire pour rendre positive cette relation triangulaire.
Avec un inévitable bémol ! La question des ressources « pour que les usagers puissent être intégrés positivement dans la codéfinition et la coproduction du service » : les effectifs doivent être suffisants, le temps relationnel doit pouvoir s'inscrire comme temps de travail, les niveaux et types de formation initiale et continue doivent être adaptés, l'encadrement, enfin, doit être repensé autour d'un rôle de coordination entre les différentes parties prenantes au service.