L'oeil de l'arsenal
C'est sous ce titre un rien énigmatique qu'Ernest Jawetz publia le 4 avril 1959 dans le British Medical Journal le fruit de ses recherches passionnantes sur la kérato-conjonctivite épidémique. En effet cette pathologie invalidante fit des ravages sur les chantiers navals de Pearl Harbour en 1941, avec un nombre de cas dépassant les 10 000, au point d'en ralentir la productivité de l'industrie militaire. L'oeil de l'arsenal était né. L'auteur rapporte ensuite l'histoire d'un marin venant consulter de retour sur terre pour des yeux rouges et douloureux. La pathologie démarra à un oeil, plusieurs jours après son départ d'un port oriental, puis gagna l'autre. Des taies cornéennes apparurent ensuite. Dix jours après sa première consultation une infirmière, qui l'avait pris en charge, développa les mêmes symptômes ce qui permit d'identifier enfin le coupable recherché depuis 1941 à savoir un Adénovirus de type 8. Ce virus, dénommé ainsi car isolé pour la première fois en 1953 à partir de tissus adénoïdes, comporte plus de 50 sérotypes avec un tropisme oculaire plus spécifique pour les types 8, 19 et 37.
L'incubation varie de 4 à 10 jours et la contagiosité démarre avec les premiers symptômes pour durer environ 12 jours. Cette kérato-conjonctivite toujours invalidante peut se compliquer d'infiltrats cornéens opacifiants qui peuvent persister jusqu'à deux ans après l'infection. Diverses épidémies de kérato-conjonctivite liées à des Adénovirus de type 8 ont été décrites en EHPAD avec des taux d'attaque variant de 30 à 50% chez les résidents et de 8 à 15% chez les professionnels. Parmi les facteurs de risque de contracter l'infection on trouvait le caractère valide du résident et les salles de bain communes. L'infection va se propager via les personnes, et on retrouver près d'une fois sur deux de l'adénovirus sur les mains des sujets infectées, mais aussi via les surfaces où le virus peut survivre de 7 à 30 jours selon les conditions rencontrées. Désinfection des mains et des surfaces, éviction des activités collectives ou d'un poste de travail pendant la période symptomatique, qui est de 5 jours en moyenne, telles sont les mesures à prendre pour réduire le risque épidémique et ses conséquences.
En 2010, une équipe du CHU de Reims a étudié l'impact économique d'une épidémie dans une unité de long séjour gériatrique ayant touché 29 patients et 12 soignants sur une période de deux mois. Le cout total a été estimé à 34 000 euros soit 830 euros par cas. C'est la perte de productivité qui a pesé le plus dans ce bilan avec pour les douze agents infectés un total de 155 jours d'arrêt. Si le coût en traitement ne représenta que 120 euros il ne faut pas oublier qu'un mauvais usage des collyres peut véhiculer facilement les virus à tropisme oculaire. En effet il est judicieux de privilégier les présentations en dose unique et les flacons multidoses doivent impérativement être à résident unique.
Et-vous, traitez-vous toujours une conjonctivite avec un oeil assez attentif ?