Des crises peuvent naitre les pires des catastrophes ou le renouveau. L'irruption de la Covid dans un monde parfaitement impréparé et convaincu de sa supériorité technique n'a pas fini de causer des troubles, des remises en causes, des désespérances, des drames.
La 5è branche : autonomie ou dépendance ?
Le confinement et ses suites ont été marqués par une lourdeur bureaucratique délétère et une inaptitude à décider, déléguer ou faire confiance pathologique... Mais nous avons vu aussi, une société responsable en capacité de rebond et d'auto-organisation. On pensera bien sûr aux très nombreux soignants et personnels intervenant dans les lieux de soin qui se sont mobilisés sans compter. Mais aussi à ces professionnels, bénévoles ou élus qui sont restés sur le pont durant les moments difficiles.
Comme dans toute situation de crise, la nature humaine montre sa diversité : le pays a connu des moments de solidarités formidables au sein d'un village, d'un immeuble, d'un groupe de collègues ou d'étudiants, mais aussi des barbaries qui explosent dans un bus ou dans les travées d'un magasin. La formule de Gramsci revient comme un rappel à l'ordre : « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres ».
Rien n'est assuré pour demain
Nous ne savons pas quel sera le débouché politique de cette catastrophe dont les effets sociaux (chômage des jeunes, peu ou mal diplômés, et des seniors), civiques (fractures croissantes entre les métropoles et la France Périphérique), culturels (confrontation entre le bloc central aussi inquiet que fragile et les marges toujours plus tentées par le communautarisme et l'intolérance), économique (accélération de la désindustrialisation et de la digitalisation des services) sont loin d'être circonscrits et connus. Mais de cette crise, marquée par la prise de conscience de la seniorisation de la société, peut naitre de belles surprises. Ainsi du retour de la « cinquième branche » de protection sociale dans l'actualité. Dès 1962, Pierre Laroque, fondateur de la sécurité sociale, avec le ministre communiste Marcel Paul, expliquait la nécessité d'une solidarité nationale envers les plus âgés. Il s'agissait, à côté des quatre risques pris en compte par la sécu d'ajouter la « dépendance ». Le sujet avait été très présent dans les années 2000, puis oublié. Et voici que l'Assemblée a voté le principe d'une cinquième branche !
Pourquoi branche et non risque ?
Sans doute que cette dénomination indique que ce ne sera pas la sécurité sociale qui pilotera ce déploiement de la protection sociale, mais la CNSA, la CNAV ou une autre structure. Regardons le mode de gouvernance, la capacité à fédérer les financements et la vision de la solidarité. La place des démarches assurantielles et mutualistes devra être posées. Au-delà du financement, il me paraît impératif de penser une politique volontariste, collective et individuelle, de la prévention. Plus largement, l'instauration d'un financement à la hauteur des enjeux doit aussi nous conduire à valoriser la seniorisation de la société, les métiers du care qui y sont associés et penser les Ehpad adaptés aux besoins et désirs de demain. Finalement, allons-nous rester dans un financement de la dépendance ou nous inscrire dans une politique accompagnante de l'autonomie de tous ?
Serge Guérin
Professeur de sociologie à l'Inseec GE, directeur du MSc « Directeur des établissements de santé », auteur de Les quincados, Calmann-Lévy