Individualiste, hyperconnectée et critique, la génération Y laisse les employeurs démunis. Stephane Cohen, directeur de Division Nord du groupe Orpéa, s'est penché sur le sujet dans le cadre de l'Exécutive Mastère spécialisé en management médical et gestion des structures de santé (partenariat ESCP Europe et ORPEA). Sa thèse "La Génération Y et le secteur de la dépendance : un défi de plus pour un secteur déjà instable ?" donne des clés pour comprendre, recruter, manager les 18-35 ans.
La comprendre, la recruter, la manager
Génération Y. Le terme est né en 1993 dans la revue Ad(verstising) Age dans un article sur le marketing générationnel. Aujourd'hui, cette génération qui regroupe les 18-35 ans, laisse les managers sceptiques. Pour les EHPAD, le sujet est sérieux quand on sait les difficultés de recrutement et de fidélisation du personnel: qu'on l'appelle Génération "Why" (jeu de mot sur prononciation anglophone du Y et la soif de questionnement des jeunes Y) ou "digital natives", cette génération est incontournable : d'ici 2015, elle représentera 40% des actifs. Avec 400 000 emplois à pourvoir d'ici 2015 (DARES 2007), les structures médico-sociales, Ehpad en tête, doivent mettre leurs chances de leur côté pour attirer et fidéliser les jeunes, spécialement les jeunes soignants.
Ce qui caractérise les Y
- Un équilibre vie personnelle Vs vie professionnelle
Les jeunes Y ont grandi dans une société marquée par la réduction du temps de travail. A l'inverse de leurs ainés (les "X"), ils ne feront pas passer leur vie professionnelle avant leur vie personnelle.
- Un rapport différent à la hiérarchie. Leur éducation a laissé une grande place à la négociation et les hommes n'ont pas connu le service militaire.
- Un scepticisme face au monde de l'entreprise : ils ont vu leurs familles connaître licenciement et ruptures conventionnelles.
- Un besoin de sens. La génération "Why" questionne tout et est sensible aux engagements sociétaux.
- L'omniprésence des technologies. Télévision, ordinateur ou téléphone, les jeunes consacrent 37h par semaine aux écrans.
Attention toutefois à une approche trop radicale. L'étude cognitive de Jean Pralong (1) et l'étude managériale de Pichault et Pleyers arrivent à un même constat : la génération Y n'est que très peu différente des générations précédentes. Jean Pralong évoque ainsi un jeune bricolo, chaussé d'espadrilles, aux horaires et aux résultats imprévisibles : Gaston Lagaffe (1957 !)
Les chances des EHPAD
Quoi qu'il en soit, les attentes des 18-35 ans sont une réalité : emploi, mobilité géographique, évolution professionnelle, demande de sens et de relations humaines...
Les Ehpad ont tout pour attirer les moins de 30 ans : des perspectives d'avenir, des parcours professionnels ouverts (une aide-soignante peut devenir IDEC, un cuisinier directeur), des métiers fondés sur la relation humaine. A contrario, les Ehpad offrent aussi des emplois du temps contraignants avec journées longues et travail le week-end.
Comment les recruter ?
On le sait le secteur manque autant de visibilité que d'attractivité. Les directeurs et leurs cadres peuvent :
- se rapprocher des instituts de formation tels que les IFSI (Instituts de Formation en Soins Infirmiers) et les IFAS (Instituts de Formation d'Aide Soignants) et présenter les métiers, parcours, environnements de travail (aides techniques, locaux adaptés, technologies...) et politique RSE (Responsabilité sociétale des entreprises) des EHPAD. Des perspectives nouvelles s'ouvrent aux Y et les CV suivent...
- aller chercher les jeunes là où ils sont ; à savoir : sur les réseaux sociaux (Viadeo, Linkedin, blogs RH...).
Comment les intégrer ?
Les Y sont dits arrogants, pressés, critiques et enfermés dans une relation "donnant-donnant". Une autre lecture est possible : les Y sont participatifs, motivés et pragmatiques. Le mieux est de leur donner la parole :
- sortir du rapport sachant-apprenant et leur demander un "rapport d'étonnement" après les premières semaines : avis, remarques, suggestions...
- organiser des points réguliers avec les Y : ils sont demandeurs de retours sur leur travail. Un entretien annuel (dont on peut douter qu'il soit systématique dans tous les Ehpad) ne suffit pas.
- affecter un tuteur au jeune et prévoir des réunions tripartites : soignant, tuteur, IDEC. Dans la mesure du possible, le directeur participera. Le jeune est valorisé et devient partie prenante de son intégration.
Comment les manager ?
- Privilégier le management fondé sur la relation : management participatif, management persuasif. Les Y ont besoin de comprendre le pourquoi des choses. Exit le management directif (tout en gardant une zone non négociable) ou délégatif !
A noter : les 18-35 ans ont besoin de cadre et reconnaissent la hiérarchie quand sa légitimité est affirmée par un vrai leader : un leader qui communique et donne du sens aux actions (rôle primordial du "feedback").
- Décloisonner le management.
Le management de proximité des soignants est porté par les IDEC... lesquelles sont peu formées au sujet. Les former au Management, en leur présentant les spécificités des Y, avec des techniques de coaching et de feed-back, par exemple, leur évitera de ne s'en remettre qu'au directeur.
- Développer les notions de GPEEC (Gestion prévisionnelle des effectifs, des emplois et des compétences). Là encore la relation est au coeur du sujet et les IDEC peuvent être impliquées.
(1) " La génération Y au travail : un péril jeune " 2010
(2) Pichault François et Pleyers Mathieu (2010), " Pour en finir avec la génération Y...Enquête sur une représentation managériale ".
A lire aussi
Etude APEC (Association pour l'Emploi des Cadres) - " La génération Y dans ses relations au travail et à l'entreprise ", déc. 2009.
" Les Besoins en main d'oeuvre des employeurs : une illustration des mutations de l'emploi
en France depuis 10 ans ", CREDOC (2011).
Manager la génération Y - PINAUD Florence et DESPLATS Marie (2011). Y. Dunod, Paris.