Dans le n° 36-septembre 2013  -  Agressivité  1658

La comprendre pour mieux la désamorcer

Les directeurs et les soignants peuvent être confrontés à l'agressivité des familles. Celle-ci rend généralement les relations difficiles, peut lasser les professionnels et affecter le bien-être du résident. Jean-Marc Léone, coach et formateur, approfondit les ressorts de l'agressivité et propose quelques pistes pour faire évoluer les situations délicates. A méditer.

" Je ne comprends pas pourquoi le dîner est à 18h30 ! " " Ma mère a attendu une heure que quelqu'un vienne changer ses protections. " " Comment se fait-il que l'aide-soignante ait encore changé ? "
Ces phrases, les directeurs d'Ehpad les entendent souvent. Elles ont un point commun : une pointe d'agressivité. Comment le directeur peut-il à la fois se préserver, diminuer l'agressivité et éventuellement retourner la situation ?
Théorie?: comprendre l'agressivité
1. L'agressivité a deux facettes
- une facette positive : l'agressivité est un dérivatif de la colère. La colère est elle-même une émotion qui génère une énergie et un mouvement permettant d'entrer dans l'action et ainsi de faire bouger les choses.
- une facette négative : elle peut affaiblir le destinataire, le diminuer, le bloquer.

2. L'agressivité est une question de perception. L'interlocuteur n'a pas forcément eu l'intention d'agresser.

3. Différence entre attaque et agressivité
L'attaque est la réaction instinctive d'une personne qui voit son territoire empiété ou les choses importantes pour lui être bafouées ou malmenées. Cette réaction a pour but de lui permettre de défendre son territoire ou de protéger ce qui lui tient à coeur et notamment. La famille (époux, frères et soeurs, enfants, parents) relève de ce denier point. En voyant des horaires imposés à son parent âgé, le fils d'un résident cherche à préserver le confort et l'intégrité de la personne qui lui importe. En soulevant le sujet, il attaque... pour protéger... son parent.
Faire face à l'agressivité lors d'une remarque justifiée
Il est préférable de commencer par reconnaître la validité de la remarque.
" Je comprends votre réaction. Moi-même si mon père était dans une maison de retraite, je souhaiterais que... "
Le directeur peut ensuite prendre une position "basse" pour ne pas augmenter l'agressivité et au contraire pour rendre la famille cogestionnaire
" Je cherche les moyens de faire autrement... "
" Je suis à l'écoute de toute suggestion qui améliorerait le bien-être des résidents, dans le cadre de nos moyens... Je vous invite à présenter votre proposition au Conseil de la vie sociale... "

Faire face à l'agressivité
due à la culpabilisation
Derrière les reproches de la famille peut se cacher un sentiment de culpabilité. Ainsi, pour compenser un défaut d'attention de sa part, la famille peut pointer la moindre absence d'un soignant, le moindre retard ou dysfonctionnement.
Ici l'objectif du directeur sera d'atténuer l'agressivité. Il peut répondre : " Je suis rassuré de voir que vous êtes attentifs au bien-être de votre mère. Ce n'est pas le cas dans toutes les familles. Peut-être pouvons-nous trouver un moment pour parler davantage de l'histoire/des habitudes/ des envies de votre mère... " " Je vous remercie de votre vigilance, nous avons besoin de vos retours. Je compte sur vous pour identifier d'éventuels autres dysfonctionnements. "
Le directeur envoie ainsi un message rassurant au récriminant. Il porte un regard positif et mobilisateur sur le membre de la famille qui pensait avoir "abandonné" son parent âgé. Cette réponse fait diminuer la culpabilisation. L'agressivité baisse automatiquement d'un ton. Au fur et à mesure que le professionnel réitère ses réponses positives et mobilisatrices, la famille diminue ses remarques ou les formule sur un autre ton.
Est-ce toujours le bien-être de la personne qui est en cause ?
Une écoute attentive des termes employés renseigne le directeur sur l'intention de la personne qui pointe un dysfonctionnement.
Étudions les remarques souvent entendues sur l'horaire du dîner :
a) "?En dînant aussi tôt, n'importe qui trouverait la soirée interminable !/ aurait faim à 2 heures du matin/..."
En généralisant ainsi, la personne entre dans une réaction agressive. Dans ce cas-là, Son objectif n'est pas tant de défendre son parent que d'atteindre son interlocuteur.
Suggestion?: entrer dans une position "haute" pour s'affirmer constructivement, en passant du général au particulier. " Pour votre mère, qu'en est-il en particulier ? Vous a-t-elle dit qu'elle s'ennuyait ? / qu'elle avait faim la nuit ?"

b) " Je ne comprends pas pourquoi le dîner est à 18h30. "
Le "je" indique qu'il est préférable de travailler sur la personne qui s'exprime plus que sur la situation du résident qui est l'objet apparent de la conversation. Il peut être préférable de renvoyer la question. " Pour quelles raisons à votre avis avons-nous fait le choix de cet horaire ?"
Le choix stratégique de cette réponse est fondé sur deux raisons :
- en disant " je ne comprends pas " la personne cherche probablement plus à comprendre qu'à agresser. Le directeur gagnera alors à lui apporter des réponses.
- si la personne est stressée, il est difficile pour elle d'avoir une réflexion cohérente. En effet, sous le coup de l'émotion (la colère), le cerveau reptilien prend le dessus. À l'inverse le cerveau dédié à la réflexion objective, le néocortex, se désactive. La question est un moyen efficace pour réactiver ce dernier.

c) " Vous forcez mon père à dîner à 18h30 ! "
Il y a là à la fois une interprétation et une intention.
Il s'agit donc pour le directeur de justifier le choix logistique sans se justifier lui-même.
Il pourra poser une question ouverte reprenant les termes utilisés par son interlocuteur. " Qu'est-ce qui vous fait penser que nous forçons votre père " Et enchaîner ainsi : " À votre avis, pourquoi le dîner est-il prévu à 18h30 ? "
Le directeur choisit ainsi les terrains de l'écoute et de la raison plutôt que celui de la surenchère (car l'agressivité entraîne l'agressivité...). On peut imaginer que la conversation se poursuive ainsi?:
Fils du résident : " Je suis peut-être allé un peu loin..."
Directeur : " Je comprends, vous êtes inquiet et attentif au bien-être de votre père. "
La coopération se rapproche...

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