La prévention de la chute est le premier motif d'utilisation des contentions physiques en Ehpad comme en établissement de santé. À tort, pour le Pr François Puisieux, spécialisé dans les chutes et les troubles de l'équilibre chez les personnes âgées.
La contention, on peut s'en passer !
La prévention des chutes en Ehpad doit mobiliser plusieurs leviers d'action : formation du personnel, aménagement des locaux, prévention de la dénutrition et du déficit en vitamine D, bon usage des médicaments et en particulier des psychotropes, maintien d'une activité physique régulière[1]... mais pas les contentions physiques, attaches au fauteuil par exemple, pas plus que les barrières de lits. C'est pourtant le premier motif de leur utilisation en Ehpad et à l'hôpital ! L'idée première est de se dire que si on attache quelqu'un, il ne va plus tomber. Elle est fausse en réalité, plusieurs travaux le montrent dont ceux de la chercheuse américaine en soins infirmiers Elizabeth A. Capezuti : attacher une personne n'a jamais fait la preuve de son efficacité pour prévenir les chutes. Bien au contraire. Elle a montré que l'immobilisation prolongée par une contention expose la personne au risque de déconditionnement physique et psychologique qui augmente la probabilité de chutes ou de blessures. Dès qu'elles sont libérées, les personnes sous contention sont à haut risque de chute car elles ont perdu leur capacité à tenir de façon stable en position debout, et à marcher. Et je ne parle pas des risques spécifiques aux moyens de la contention physique (blessures, asphyxie, strangulation...).
Globalement, la contention a des répercussions physiques, psychologiques et sociales du fait de la restriction de liberté de la personne, de pertes fonctionnelles et de l'augmentation de son degré de dépendance. Elle s'accompagne d'un sentiment de mise à l'écart et de déshumanisation pouvant entraîner un repli sur soi, un syndrome dépressif, une agitation, une résignation à la perte de liberté, de dignité, un sentiment d'emprisonnement, une perte d'appétit ou d'un risque de dénutrition.
Le recours à la contention physique doit donc rester exceptionnel et relever de situations d'urgence médicale, par exemple pour pouvoir maintenir le traitement nécessaire à la personne. Il ne doit pas répondre à une demande sécuritaire des proches pas plus qu'il ne doit pallier un manque de personnel. En aucun cas, il ne doit servir à punir la personne (ce qui relèverait de maltraitance directe) ou à protéger les soignants (crainte d'être responsable vis-à-vis des familles).
La contention doit être l'ultime recours en cas d'échec des autres mesures environnementales, relationnelles, pharmacologiques.
Les dix commandements d'usage
Son usage doit respecter les dix commandements de l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé (Anaes devenue Haute Autorité de santé) publiées en 2000 : Limiter les risques de la contention physique de la personne âgée. Guide pratique.
1- La contention est réalisée sur prescription médicale éclairée par l'avis des différents membres de l'équipe soignante ;
2- La prescription est faite après l'appréciation du rapport bénéfice/risque pour le sujet âgé par l'équipe pluridisciplinaire ;
3- Une surveillance est programmée et retranscrite dans le dossier du patient ;
4- La personne âgée et ses proches sont informés des raisons et buts de la contention. Leur consentement et leur participation sont recherchés ;
5- Le matériel de contention sélectionné est approprié aux besoins du patient ;
6- L'installation de la personne âgée préserve son intimité et sa dignité ;
7- Selon son état de santé, la personne âgée est sollicitée pour effectuer des activités de la vie quotidienne et maintenir son état fonctionnel. La contention est levée aussi souvent que possible ;
8- Des activités, selon son état, lui sont proposées pour assurer son confort psychologique ;
9- Une évaluation de l'état de santé du sujet âgé et des conséquences de la contention est réalisée au moins toutes les 24 heures et retranscrite dans le dossier du patient ;
10- La contention est reconduite, si nécessaire et après réévaluation, par une prescription médicale motivée toutes les 24 heures.
La contention, on peut s'en passer presque toujours, notamment en Ehpad. Il est important que les professionnels de santé en soient convaincus mais aussi les familles des personnes âgées car pour protéger leurs proches, elles demandent souvent qu'on mette des barrières la nuit. Il existe des alternatives, nous devons le leur dire. Pour limiter le risque de chute, il faut évidemment bien aménager la chambre avec, par exemple, des lits mis en position très basse. De nouveaux outils sont en plein développement comme les dispositifs qui permettent de détecter le lever de la personne âgée et son éventuel non-retour au lit.
La contention, on peut s'en passer, aussi et surtout, pour des raisons éthiques, parce qu'elle est une entrave à la liberté d'aller et venir de la personne âgée. On doit la réfléchir en mesurant les bénéfices et les risques. Et souvent, les risques dépassent de beaucoup les bénéfices.
François Puisieux
Pôle de gérontologie, CHRU Lille / Faculté de médecine, Universite? Lille 2