Temps chronométré, la toilette est paramétrée par les ratios insuffisants et la pénurie de personnels soignants. Pourtant, sur le terrain, les équipes ne lâchent pas.
La course contre la montre au quotidien
La pression de la pendule, cette expression résume la frustration des soignants que la toilette cristallise. La dépendance grandissante des résidents et le manque criant d'effectifs dans les Ehpad la fait monter toujours davantage. Dans une enquête de 2020, toujours d'actualité, la Conférence nationale des directeurs d'établissements pour personnes âgées et handicapées (CNDEPAH) a extrapolé la réalité des temps soignants pour une unité de 26 lits à partir des ratios d'aides-soignantes, aides médico-psychologiques et agents des services hospitaliers ou auxiliaires de vie (accompagnant directement les résidents) : ils « ne permettent de consacrer, en moyenne que 43 minutes par résident le matin » et 28 minutes l'après-midi, dont le repas du soir et le coucher. Quant à la toilette, chaque soignant accompagne le matin environ 10 résidents pendant une vingtaine de minutes chacun, incluant le lever, la toilette et l'habillage. Et l'ambition de proposer une douche ou un bain par semaine, « ne peut pas être atteinte à ce jour », déplore la Conférence. « La course quotidienne contre le temps ne permet pas de dédier de temps relationnel de qualité et génère de la frustration mais aussi de l'épuisement par un travail encore trop taylorien », conclut-elle. Le fossé entre existant et attendu est mis en évidence.
L'engagement des équipes
Heureusement, l'existant, c'est-à-dire cette course permanente contre la montre, est souvent sauvé par l'engagement des équipes et leur volonté de « bien faire ».
Amandine en témoigne...
Aide-soignante dans un petit Ehpad public normand, avec une journée de travail de 7h30, Amandine s'occupe de 10 personnes âgées, du petit déjeuner au repas de midi en passant par le lever (souvent avec lève-malade) et l'habillage, même chose pour ses deux collègues ASH « faisant fonction ». À 6h30, réunion de transmission à cinq avec les deux veilleuses de nuit, puis 7h véritable top départ dans les chambres. Une douche quotidienne est proposée, mais sans jamais forcer - « de toute façon les très vieilles personnes n'en ont pas l'habitude, nous sommes toujours dans le cas par cas ». Néanmoins une douche minimum par semaine est inscrite nominalement au planning, « quitte à être dans la négociation répétée, comme cela se passe pour les trois quarts des résidents, les familles doivent le savoir ». Par ailleurs, les résidents alités sont toujours levés, soit après une toilette au lit, soit avant une toilette au lavabo ou à la douche - « même s'il faut sans cesse aller vite, et, bien sûr si tout va bien, l'équipe tient à ce que les personnes âgées conservent leur autonomie au maximum ». L'équipe, un mot-clé. « Elle a à coeur de faire ce qu'il faut, c'est pour elle que je reste dans cet Ehpad, c'est grâce à elle que personne ici ne travaille à contrecoeur », résume cette aide-soignante expérimentée qui, comme ses collègues, sacrifie la plupart du temps sa pause de 11h. De quoi aussi supporter les restrictions budgétaires, quand viennent à manquer les serviettes pour essuyer les personnes, les gants...
Une culture gérontologique partagée
Turn-over, faisant fonction... tout est souvent à recommencer dans un Ehpad. La formation, sur le tas, est souvent réduite à une initiation en binôme. Pas forcément de protocole maison, pas forcément de prise de connaissance des projets d'accompagnements personnalisés - quand ils existent, quand ils sont actualisés ou, à l'inverse, quand ils ne sont pas des « listes de Noël » pour reprendre l'expression d'un directeur. La toilette est pourtant un acte soignant capital. Mais les référentiels nationaux de bonnes pratiques ou de qualité commencent à dater, on en parle peu dans les congrès, comme s'il n'y avait rien à dire...
Un intéressant guide de terrain est donc à saluer : le Guide d'aide à la prise en soins quotidienne de la personne âgée, rédigé, puis actualisé en 2020 par la filière gérontologique haute-savoyarde Alpes-Léman. Il s'adresse aux professionnels du centre hospitalier Alpes-Léman de Contamine-sur-Arve, aux services à domicile et aux 12 Ehpad que couvre la filière. Dès sa création, la filière en a fait une priorité et s'est attelée à la rédaction de 12 fiches techniques « afin de répondre aux besoins des professionnels de tous les secteurs et d'initier une culture gérontologique partagée », avec la volonté de s'inscrire sciemment « dans une approche globale de la personne âgée, que celle-ci vive à domicile ou soit prise en charge en institution ». Cinq de ces fiches concernent l'hygiène corporelle des personnes âgées : la toilette au lavabo, la douche, la toilette au lit, le shampoing ou capiluve, le pédiluve ou lavage des pieds. « Il permet aux soignants de s'appuyer sur un outil solide » commente Véronique Gentit, assistante de la filière. Et de gagner en qualité.