Après deux heures de restitution particulièrement riches autour des trois ateliers mis en place durant le Conseil national de la Refondation (CNR), Jean-Christophe Combe, ministre des solidarités et de la santé, a dévoilé les premiers éléments de la réforme Grand Âge.
La Fabrique du bien vieillir est en marche
Le 4 avril 2023, Jean-Christophe Combe est remonté à la Tribune pour conclure les débats après la présentation des conclusions du CNR. Et sans que personne ne s'y attende vraiment, il a annoncé une réforme en quatre axes, dont la première étape devrait démarrer dès juin prochain.
- Simplifier la vie des proches : cet axe intègre les questions liées aux conditions de travail des personnels à domicile pour lesquels un plan de travail devrait être présenté en juin 2023, mais aussi à la formation et aux relations avec les aidants.
- Prévenir la perte d'autonomie et repérer les fragilités et l'isolement. Si de nombreuses initiatives sont citées, Jean-Christophe Combe montre qu'il a entendu les propositions des groupes de travail, particulièrement sur la généralisation du dispositif Icope, validé par l'OMS. « Nous avons la nécessité de diffuser le modèle et de mettre en place un service public de repérage des fragilités », avait justement précisé Luc Broussy dans sa synthèse.
- Faciliter l'accessibilité des personnes âgées aux services publics. Finis le millefeuille administratif et l'errance liée à une multiplication des services. Jean-Christophe Combe propose un numéro unique d'information et une réponse coordonnée.
- Lutter contre les maltraitances physiques ou financières. L'objectif de transparence et de contrôle des établissements devrait se prolonger. Le ministre précise qu'il souhaite voir l'intégration dans la loi d'un « droit de visite ».
Si une ligne opérationnelle semble se dessiner, tout n'est pas encore défini en matière de financements ou de gouvernance mais le ministre se dit ouvert et « prêt à continuer d'avancer dans un esprit constructif ».
Du côté des associations, les réactions ne se sont pas faites attendre.
La Fnadepa a indiqué dans un communiqué que les propositions de Jean-Christophe Combe étaient « Sans surprise ». « Seuls quatre axes ont été communiqués à cette heure. (...) ils s'inscrivent dans la continuité des mesures déjà recommandées dans maints et maints rapports depuis 2018. L'heure est plus que jamais aux actes. » Elle invite le gouvernement à ne « pas faire l'économie d'une réforme majeure à court terme ni d'un financement à hauteur des préconisations du rapport Libault. ».
L'AD-PA a de son côté indiqué qu'elle « attend des annonces fortes pour lutter contre l'âgisme et augmenter le temps passé auprès des personnes âgées. Le CNR doit également déboucher sur le financement de la participation des plus vulnérables et sur la mise en place d'une instance nationale représentative des personnes âgées. ».
Restitution du CNR Bien vieillir
6 mois après le lancement du CNR, c'est dans la belle salle Laroque du Ministère des solidarités et de la santé que s'est déroulée la restitution des ateliers construits autour de trois chantiers : la lutte contre l'isolement des plus âgés, l'adaptation de l'habitat, la valorisation des métiers.
Promotion du lien social et de la citoyenneté : un atelier animé par Martine Gruère (Old'Up) et Yann Lasnier (Délégué général des petits frères des pauvres)
Ce CNR a donné sens à cette participation des personnes âgées et de leurs proches. Au cours des trois ateliers, « j'ai eu l'impression d'entendre une autre France ni revendicative, ni dans la plainte, mais dans le désir d'écouter d'autres points de vue » a expliqué Martine Gruère lors de la restitution. Plusieurs éléments sont ainsi ressortis des échanges :
- Un besoin des plus âgés d'accéder aux infos. Le tout numérique est très difficile pour beaucoup (la distance aussi). Il faut privilégier la proximité, le téléphone sans robot, des lieux uniques d'information, la création d'observatoires
- Un besoin de s'exprimer, d'être écoutés et entendus dans toutes les instances. « Rien pour nous sans nous » témoigne du changement des modes de relations attendus
- La peur des représailles qui limite l'expression : « cette peur empêche de dire ce dont on a besoin. Du coup, on fait appel à des personnes extérieures ».
- Le désir de se réunir : les personnes âgées demandent à disposer d'espaces et de temps d'accueil pour se retrouver (soit sous la forme de groupes ouverts à l'intergénérationnel soit de groupes fermés).
- Un besoin de formations pour tous dans lesquelles les personnes âgées ou handicapées pourraient intervenir, et ce dès le début.
37 mesures dont 22 concernent l'isolement social et les maltraitances sont ainsi proposées. Citons parmi elles : l'ouverture de lieux de restauration scolaire ou d'entreprise aux personnes âgées, le repérage des fragilités en mobilisant les commerçants de proximité, la création d'une réserve citoyenne territoriale. Ouvrir le service civique aux seniors : le volontariat associatif pourrait être promu auprès des seniors.
Adaptation de la société au vieillissement : un atelier animé par Luc Broussy (président de la filière silver économie) et Florence Thibaudeau-Rainot (adjointe au maire du Havre, présidente de la commission solidarité de France urbaine).
Premier enseignement de cet atelier, la nécessité de créer un comité interministériel de la transition démographique, à l'image du secteur handicap, afin de mobiliser l'ensemble des ministres sur la question du grand âge de manière transversale. « Cela permettrait de montrer qu'on franchit un cap dans la compréhension de cette transition démographique », explique Luc Broussy, rapporteur.
L'Etat doit se fixer un objectif chiffré concernant l'espérance de vie sans incapacité et développer la prévention (on est aujourd'hui derrière l'Espagne la Grèce, l'Italie...). Cela peut passer par la généralisation d'Icope (validé par l'OMS) et la mise en place d'un service public de repérage des fragilités.
Les personnes interrogées ont souligné la nécessité :
- d'installer les nouvelles technologies dans les ehpad : grâce à un forfait nouvelles technologies, qui serait une enveloppe dédiée pour que les ehpad innovent et essaient d'importer des méthodes dans les établissements
- de modifier la gouvernance et de mieux travailler avec les départements dont la compétence majeure touche aux solidarités. « Les décisions doivent être prises maintenant ».
- Sur la question du logement proprement dite, Ma Prim'adapt entrera en vigueur à partir du 1er janvier 24. Elle va permettre aux seniors d'adapter leur logement pour un budget variant de 6 et 8 000 euros en général. Si tous les seniors ne pourront en bénéficier, le groupe insiste pour que soit créé un droit universel au diagnostic.
- Le groupe pose également la question du viager solidaire, 75% des personnes âgées étant propriétaires de leur logement.
- Vieillir chez soi peut parfois nécessiter de changer de chez soi. C'est ainsi qu'on voit se développer les résidences services seniors. Mais il semble nécessaire d'adapter les règles d'urbanisme, pour ne pas imposer notamment dans les centres ville des règles inapplicables.
De même, il convient de constater que les résidences autonomie (résidences seniors des plus modestes) sont passées de 160 000 à 80 000 places. Il faut donc réfléchir à de nouvelles alternatives pour les plus modestes.
Attractivité et valorisation des métiers, amélioration de la qualité de vie, des parcours professionnelles et accompagnement des aides à domicile : un atelier piloté par Myriam El Khomri (ancienne ministre) et Dafna Mouchenik (directrice d'un service d'aide à domicile)
« L'attractivité n'est toujours pas là car on se casse la santé », entonne Myriam El Khomri, constatant que le secteur connaît une sinistralité record. « 600 millions d'euros sont payés par l'assurance maladie chaque année, des coûts cachés qui pourraient être mobilisés ailleurs ».
Les financements de la formation continue ne sont pas mobilisés et beaucoup d'ehpad et de Saad fonctionnent avec des personnes non formées. « Seule une réforme systémique permettra de répondre à l'attractivité des métiers » indique t-elle.
Les professionnels veulent un nouveau cadre de travail, une nouvelle manière d'aborder leur métier. « L'accompagnement de personnes âgées, ce n'est pas un travail à la chaine. C'est cela qui déshumanise leur mission. Et ca, oui ça demande des financements ».
Il apparaît par ailleurs que 10 % des demandes d'aide et de soutien ne trouvent pas de réponse par manque de professionnels sur le terrain, dont le taux de précarité est par ailleurs inédit. « Un rapport alarmant du défenseur des droits montre combien ces professionnels sont isolés », ajoute Dafna Mouchenik. « Elles veulent du temps. La comptabilité à l'heure, voire à la minute est le résultat direct de maltraitance ».
Le groupe propose donc :
- La simplification du modèle de financement
- La fin de l'injustice liée à la barrière d'âge (+/- 60 ans)
- La simplification immédiate du financement de l'Apa, l'annualisation des plans d'aide
- La comptabilisation des temps invisibles (appelés improductifs) d'échanges, de bonnes pratiques, de relais auprès des familles...
- Les professionnels veulent vivre dignement de ces métiers et la mise en place un observatoire des rémunérations
- Elles veulent privilégier le temps passé auprès des gens. En s'occupant mieux des personnes, on offre de meilleures conditions de travail aux professionnels. « Il faut mettre le paquet sur les gir 1 et 2 », ajoute Dafna Mouchenik.
- Les Gir 3 et 4 doivent bénéficier des deux heures prévues dans le Plfss. Les professionnels insistent sur la nécessité de faire avec les gens (y compris les tâches ménagères) pour maintenir les personnes dans l'activité.
- L'obtention d'une carte professionnelle, d'une prévoyance.
Et de conclure en s'adressant directement au Ministre « On n'a pas les moyens de ne pas faire cette dépense Monsieur le Ministre », déclare Dafna Mouchenik.