Si l'on veut dépasser les discours simplistes sur une France paresseuse, cherchons un peu de nuances... D'où cette relation distanciée au travail peut-elle provenir ?
La fin du travail ?
Dans notre chronique précédente, nous évoquions le manque d'appétence pour le travail en France. Les réalités chiffrées et les analyses qualitatives montrent qu'il y a bien sujet. Certes le travail est moins central qu'avant. Une étude Ifop, déjà évoquée dans ces colonnes, montrait que le travail était « très important » pour seulement 24 % des Français, contre 60 % 20 ans avant. Mais le travail reste « important », pour la majorité des personnes interrogées. Une autre étude[1] nous dit que 74 % des actifs se déclarent très satisfaits. Et 68 % se disent même heureux au travail !
Ce qui compte le plus au travail, ce n'est pas le travail !
À 81 %, ce sont les relations avec les collègues qui sont la première source de satisfaction. Juste devant l'intérêt du métier. Ce que l'on oublie ainsi trop souvent, c'est que le travail est avant tout un vecteur de lien social. D'ailleurs, 74 % des actifs estiment que leur travail leur permet de se sentir intégrés dans la société[2].
Ce qui nous amène à une autre question : si le travail renforce ce lien social tant attendu, pourquoi n'arrive-t-on plus à embaucher en France ? Pourquoi tant de postes vacants, de jobs non pourvus ?
Les difficultés à embaucher sont liées à un fait social majeur : la France traverse un véritable choc démographique. Départs massifs à la retraite depuis 2006 et chute de la natalité de la population française ces douze dernières années (100 000 naissances de moins entre 2010 et 2022) ont conduit à une diminution du nombre d'actifs disponibles. Ajoutez à cela un marché du travail plutôt dynamique pour les cadres et les diplômés, et vous obtiendrez une inversion du rapport de force entre employeurs et employés. Les postes à pourvoir sont nombreux, mais les forces vives sont rares.
Alors quels leviers pour séduire les salariés ?
L'étude montre que les principaux critères pour choisir un poste demeurent finalement peu surprenants mais très rationnels. Le salaire apparaît en première position, loin devant l'ambiance. En troisième position, on note la distance entre le travail et le domicile. En période de forte inflation avec des tarifs de carburants plus élevés, la question des déplacements devient sensible. Parallèlement, l'organisation de la vie de famille se complique. Plus que « flemmards », les Français doivent gérer leur travail avec l'organisation familiale : faire garder les enfants, les emmener à l'école, aller les chercher et, un élément souvent peu connu et dont l'importance sera croissante dans les années à venir (là encore, la démographie explique beaucoup de choses), s'occuper d'un proche âgé. Selon le dernier Observatoire Viavoice-Ocirp, l'âge moyen d'entrée dans l'aidance chez les salariés du secteur privé est de 36 ans en moyenne[3]. Et leur charge hebdomadaire consacrée à l'aidance, de 10,5 heures.
Les entreprises et plus largement la société française sont devant une forte évolution des imaginaires et attentes face au travail. Il faudra réinventer un récit où le travail est valorisé symboliquement et matériellement. Au-delà de la rémunération, les avantages pratiques (crèches dans l'entreprise, soutien aux aidants et aux salariés fragilisés, accompagnement et valorisation concrète des seniors, amélioration des conditions de déplacement, aide à l'autonomie dans le travail...) sont autant de leviers d'action à investiguer. Ces actions concrètes doivent être associées à une plus grande mobilisation du collectif autour de l'impact social et environnemental des organisations.