Le rapport de l'ONFV 2011 publié récemment, les "scandales" de l'été concernant la mise en vacance des soins palliatifs dans une grande ville du Sud-Ouest, la polémique renaissante sur l'euthanasie, ont remis la question de la fin de vie sous les projecteurs de l'actualité. Nous avons demandé au Professeur Régis Aubry, président de l'ONFV, de nous donner son opinion sur cette question difficile.
La formation des professionnels doit rester une priorité
Pourquoi est-il urgent d'organiser un débat sur la fin de vie ?
En développant la médecine moderne, nous avons sans doute mal mesuré l'ampleur des conséquences que cela aurait sur notre société. Aujourd'hui capable de freiner l'évolution de maladies parfois très graves (cancers, maladies neurodégénératives, etc), la médecine a paradoxalement généré l'apparition de situations impensables il y a encore 20 ans: certaines personnes survivent désormais pendant de longues années à des maladies incurables dont on a réussi à ralentir la progression mais qui se révèlent invalidantes, source de souffrances, etc.
Le débat sur la fin de vie est donc un débat sur la place que notre société veut accorder à ces personnes que la médecine ne peut pas (et ne pourra sans doute jamais) guérir. Notamment parce que l'on ne guérit pas la vieillesse...
Si ce débat est urgent, c'est parce que nous avons négligé pendant de longues années de nous poser ces questions, et que les citoyens sont aujourd'hui demandeurs de réponses concrètes et d'une meilleure prise en compte de leurs souhaits.
Avons-nous des données fiables concernant les situations de fin de vie ?
Non, nous n'avons aujourd'hui aucune information réellement fiable sur la réalité des situations de fin de vie en France.
L'institut national des études démographiques (INED) publiera dans les toutes prochaines semaines la première étude scientifique sur ce sujet, menée en collaboration avec l'observatoire national de la fin de vie. Nous disposerons alors de données inédites sur les décisions médicales de fin de vie et sur la façon dont les français sont pris en charge dans leurs derniers mois de vie.
Pensez vous qu'il faut changer ou compléter la loi Leonetti ?
Compte tenu du peu de données disponibles, je ne crois pas que nous soyons pour l'instant en mesure de répondre de façon rigoureuse à cette question.
Ce que nous savons, à travers les travaux que mène l'observatoire national de la fin de vie, c'est que les professionnels de santé manquent souvent des quelques repères cliniques et éthiques indispensables pour accompagner des personnes en fin de vie. C'est notamment vrai dans les EHPAD, où les formations autour de ces questions sont relativement récentes.
Les médecins manquent de formation spécifique et les pratiques évoluent trop lentement. Que proposez vous pour améliorer sensiblement l'accès aux soins palliatifs ?
Il est vrai que, en France, les médecins manquent encore cruellement d'une formation spécifique à l'accompagnement de la fin de vie: Le rapport 2011 de l'observatoire de la fin de vie a ainsi montré que seuls 2,5 % des médecins généralistes français avaient bénéficié d'une formation aux soins palliatifs...
La formation des professionnels (et en particulier des médecins) doit donc rester une priorité. La réforme en cours des études médicales (LMD) devrait intégrer ces aspects essentiels pour permettre aux médecins de demain d'affronter les défis nouveaux de la médecine qui sera marquée par le questionnement éthique et la fin de vie
Dans les EHPAD, je crois également qu'il faut saisir la chance que représente l'évaluation interne/externe mise en place par l'ANESM: cette évaluation doit être l'occasion de faire un point précis sur la façon dont les résidents en fin de vie sont accompagnés au sein de l'établissement.
Le rapport de l'ONFV indique que les personnes meurent de plus en plus en EHPAD et un peu moins à domicile. Est ce une bonne ou une mauvaise chose ?
Les travaux de l'observatoire de la fin de vie ont en effet montré que la proportion de décès en maison de retraite avait tendance à augmenter de quelques pourcents au cours des 20 dernières années. À l'inverse, la part des décès à domicile est passée de 28,5% à 25,5%.
Mais le plus frappant, me semble-t-il, c'est que la part des décès à l'hôpital est restée aussi forte qu'en 1990 (58%), alors que les français déclarent majoritairement vouloir finir leur vie chez eux et que les pouvoirs publics ont déployé des moyens considérables pour tenter de faciliter le maintien des personnes à leur domicile (que ce "domicile" soit une maison ou un EHPAD)
L'Observatoire De la fin de vie a d'ailleurs décidé de consacrer l'ensemble de ses travaux 2012 à la problématique du domicile, avant d'engager un programme de travail 2013 sur le vieillissement.
Que peut-on attendre de la mission confiée a Didier Sicard ?
Le Pr Sicard est chargé par le Président de la République d'investiguer la question suivante : Comment notre société peut-elle accompagner les conséquences des avancées dans le domaine de la santé et de la médecine quand ces conséquences sont l'augmentation de l'espérance de vie avec une maladie ou un handicap grave, source de dépendance ? Pour ce faire, la mission Sicard se tourne vers les citoyens, les " sans voix " qui pourtant vivent ces situations. Un rapport de mission sera adressé au Président de la république fin décembre
Le comité consultatif national d'éthique est invité à réfléchir sur la fin de vie.
La France est-elle en avance sur les autres pays ou se pose t elle des questions que les autres n'abordent pas ?.
Il est probable que le CCNE soit lui-même saisi à la suite de la mission Sicard pour approfondir les questions qui seront posées et émettre des avis sur ces questions.
Cette approche et cette volonté de débat public clairement affichée par le président de la république fait de la France un modèle d'exercice de la démocratie sur une question sensible qu'il sera intéressant de suivre...
Eléments de réflexion
68% des français ignorent qu'une loi interdit l'acharnement thérapeutique. (Sondage Opinionway 2011)
53% des français se disent insuffisamment informés sur les soins palliatifs.
60% des personnes qui décèdent sont susceptibles de nécessiter des soins palliatifs plus ou moins complexes (rapport ONFV 2011) et 67% de celles qui décèdent à l'hôpital.
90% des personnes interrogées disent ne pas connaître le concept des "directives anticipées".
83% disent qu'elles ne sont pas intéressées, et qu'elles ne s'en saisiront pas" (Enquête "être vieux, est-ce préparer sa mort ?" 2011).
66 202 professionnels non médicaux ont été formés aux soins palliatifs entre 2005 et 2009 dans les hôpitaux publics.
2 585 médecins libéraux ont été formés aux soins palliatifs grâce à la Formation Médicale Continue entre 2005 et 2009.