La 5e semaine nationale de lutte contre la dénutrition[1] vient de s'achever. Pourtant, la vigilance reste de mise pour prévenir cette maladie silencieuse qui affecte plus de deux millions de personnes en France.
La lutte contre la dénutrition : un enjeu de santé publique
Souvent méconnue et mal dépistée, la dénutrition est une maladie silencieuse qui touche un large public et particulièrement les personnes âgées ou en situation de handicap. En France, on estime à plus de 2 millions le nombre de personnes dénutries, dont 400 000 personnes âgées vivant à domicile et 270 000 en Ehpad.
Un sondage IFOP réalisé en juin 2023, révèle que 80 % des Français ne considèrent pas la dénutrition comme une maladie. Pire, une personne sur deux estime « normal de perdre du poids en vieillissant ». Ce manque de prise de conscience aggrave les retards de diagnostic et rend le combat contre la dénutrition d'autant plus complexe. Pour le Pr Agathe Raynaud-Simon, nouvelle présidente du Collectif de lutte contre la dénutrition, et cheffe du département de gériatrie à l'hôpital Bichat, le dépistage précoce est essentiel. C'est pourquoi le Collectif, soutenu par le ministère de la Santé et des Solidarités, redouble d'efforts pour renforcer l'information auprès du grand public, comme des professionnels.
La dénutrition n'est pas qu'un symptôme
Longtemps perçue comme un simple symptôme, la dénutrition est une véritable maladie, qui apparaît lorsque les apports alimentaires sont insuffisants à couvrir les besoins nutritionnels. Elle provoque alors un affaiblissement généralisé en diminuant les défenses immunitaires et en augmentant le risque d'infection. La gravité de la dénutrition tient à l'importance de la fonte musculaire qui diminue la mobilité, augmentant le risque de chute et de perte d'autonomie. Elle entraîne également une baisse du moral et un risque de dépression. En cas de maladie chronique, la dénutrition peut aussi impacter l'espérance de vie. On parle de dénutrition dès lors qu'est enregistrée une perte de 5 % du poids en un mois ou 10 % en 6 mois.
Les signes d'alerte
Les personnes dénutries le sont parfois à leur insu. La perte de poids est l'indicateur le plus sensible de la dénutrition, qu'elle survienne chez une personne mince, de poids normal ou obèse. De nombreuses personnes, notamment âgées, ne se pèsent pas et n'ont donc pas conscience d'être dans un processus de dénutrition. Les proches et aidants peuvent repérer une dénutrition par quelques signes simples : perte d'appétit avec un réfrigérateur vide ou plein de produits périmés, des vêtements paraissant plus larges qu'avant, le port d'une ceinture ou de bretelles alors que ce n'était pas nécessaire auparavant, des bijoux moins serrés... D'autres signes moins perceptibles mais typiques doivent également alerter, comme les gencives qui maigrissent, entraînant une perte de mastication. Pour le Pr Éric Fontaine, trésorier du collectif, « il y a un décalage majeur entre ce que la personne mange et ce qu'elle est ». En d'autres termes, cela signifie que l'organisme stocke très peu de glucides. « Lorsqu'on entame ses réserves dans le cas de régime par exemple, on touche soit aux muscles soit aux graisses. Mais avec l'âge ou la maladie, le corps pioche dans les muscles, ce qui entraîne une baisse des défenses immunitaires et un plus grand risque de développer une infection. La graisse contient 9 calories par gramme, le muscle 1 calorie par gramme. Il est donc impossible en cas d'amaigrissement rapide de perdre de la graisse. C'est le muscle qui est touché. Cela explique d'ailleurs pourquoi, contrairement aux idées reçues, les personnes obèses peuvent être dénutries. »
Des causes multiples
Parce que le nombre de personnes âgées en perte d'autonomie devrait passer de 1,4 millions en 2024 à 4 millions en 2050, la prévention semble plus que jamais une priorité. Elle passe d'abord par le repérage des facteurs de risque.
Selon Aline Victor, nutritionniste diététicienne et fondatrice d'Avi'sé, il existe quatre déterminants à une mauvaise alimentation : l'isolement social (qui prive du plaisir et de la convivialité du repas), la précarité (les banques alimentaires enregistrent une augmentation de 20 % de leurs bénéficiaires), la santé (l'hygiène buccodentaire qui rend la mastication difficile ou la sédentarité) et enfin les effets secondaires des médicaments (qui impactent le microbiote, ou réduisent l'appétit...). Aline Victor rappelle ainsi que le dépistage est essentiel et permet de freiner l'entrée dans la fragilité. Pour cela, elle invite à développer l'« aller vers » afin de créer du lien social, en proposant l'organisation d'ateliers pédagogiques pour permettre aux personnes de sortir de chez elles, ou le développement du digital pour réduire la fracture numérique...
Pour répondre aux facteurs médicaux, elle insiste sur la nécessité de développer l'activité physique en personnalisant l'offre qui permet de trouver des leviers motivationnels. Elle insiste également sur la nécessité de limiter les hospitalisations (un des premiers vecteurs de la dénutrition) en développant la télémédecine notamment. Mais l'enjeu prioritaire reste le dépistage précoce en formant et mobilisant l'ensemble des acteurs : diététicien, médecin, pharmacien, dans un triptyque opérationnel et complémentaire.