Michel Rollo, président Fédéral de la CFTC, répond aux questions de Géroscopie.
La marchandisation ne répond en rien à nos valeurs
Quel est le climat social dans les établissements accueillant des personnes âgées ?
Que l'on soit dans le secteur sanitaire ou médico-social, ou que l'on soit dans le secteur public, associatif ou commercial, les professionnels nous font part, partout en FRANCE de leur mal être, et de leurs exaspérations permanentes qui réduisent de plus en plus leur investissement dans leur travail
Le mal être se traduit en premier lieu par des conditions de travail qui n'ont cessé de se détériorer ces dernières années, avec des ratios de personnel insuffisants pour prendre en charge des Personnes Agées de plus en plus dépendantes. En se rajoutant à des contraintes d'horaires, avec de longues amplitudes journalières (horaires de coupe le plus souvent) et de présence les dimanches, les personnels du secteur nous disent tout leur ras le bol et leur envie de quitter un métier qui est désormais à cent lieues de leurs espérances voire de leur projet professionnel.
Quant à leurs exaspérations, elle se traduit par un manque de reconnaissance, tant au travers des salaires, et le manque d'attractivité qui ne leur laisse espérer que de rares pistes pour de véritables évolutions professionnelles. Ne soyons donc pas étonnés, que la détresse psychologique, le stress, les TMS, ont pris de l'ampleur dans les problématiques de la Santé au travail et font partie désormais des premières causes de la montée en charge des arrêts de travail.
Quelles sont les perspectives d'évolution salariale?
Sur les perspectives d'évolution salariale, autre cause essentielle venant s'ajouter à la morosité, il paraît évident qu'il ne faut pas attendre monts et merveilles pour les prochaines années. Depuis 2010, il n'y a plus de progression de la valeur du point et le Premier Ministre vient d'en annoncer le gel jusqu'en 2017. Notre environnement santé et social subit la crise économique de plein fouet. L'augmentation du chômage est devenue permanente depuis 2008, et le secteur est pénalisé d'un côté par la réduction des recettes et le déficit récurrent de l'assurance maladie et de l'autre par le resserrement des budgets des collectivités locales- Comment une personne âgée se retrouvant avec à peine 1000 € de pension peut-elle à elle seule régler une facture de plus de 2000€ chaque mois ? On voit bien là, avec l'allongement de la durée de vie et l'accroissement de la dépendance, les limites d'un système qui a besoin d'être revu sur l'ensemble de la chaîne des soins à partir de la médecine de ville. Certains ont crié à la dérive qui s'est accentuée vers la préemption des maisons de retraite par le secteur commercial. En y regardant de près la Convention Collective Unique du secteur on voit bien que ce n'est pas parce que la Personne Agée pourrait répondre à un marché porteur pour des actionnaires peu regardants, que pour autant les personnels qui y travaillent soient mieux rémunérés. Et avouons-le tout de suite pour la CFTC, l'approche de " marchandisation ", ne répond en rien à nos valeurs qui doivent prioritairement mettre la personne humaine au coeur de toute organisation de soins ou d'accueil. Finalement, seules la coordination et la réorganisation par une réforme structurelle de fond, d'un côté, et la reprise de la croissance, et la création d'emplois au sein de notre économie, pourront nous éveiller à quelques lueurs d'espoir pour voir les salaires évoluer.
Quels sont les axes de vigilance retenus par le syndicat et les militants ?
Plusieurs points de vigilance nous paraissent incontournables si l'on se place du côté des soignants mais là, j'en mettrai un plus particulièrement en exergue. Je dis soignant car nous avons l'impression depuis deux ans que notre ministère des affaires sociales et de la santé s'intéresse davantage à l'opinion des usagers plutôt qu'à un véritable dialogue social pour tenter d'apporter de vraies réponses aux mauvaises conditions de travail des professionnels. A titre d'exemple la volonté récente de renforcer la répression contre la soi-disant maltraitance au sein de nos maisons de retraite. La première question à se poser, nous semble -t-il, serait d'abord de se focaliser davantage sur l'origine, voire la source de la montée en charge de la maltraitance dans certaines maisons de retraite. Si vous vous retrouvez à deux Aide Soignants sur deux étages avec plus de 60 personnes à prendre en charge la nuit, il nous paraît difficile de rassembler toutes les conditions nécessaires pour que les soignants se trouvent en condition de bientraitance avec les pensionnaires. Pour la CFTC, donc le premier acte de vigilance serait de mettre les personnels en situation de sécurité, sans dépassement de fonction, pour accomplir en toute sérénité leurs missions. Après si on voulait élargir le débat, on pourrait aborder les problématiques de la qualité des services à rendre, le temps raisonnable et à minima à donner à chaque résident, le problème de la violence envers les personnels. Mais finalement tout reste lié à la problématique restreinte des moyens de financement.
Quels problèmes constatez-vous concernant la formation des professionnels ? (ASH, AMP, aides soignantes, etc)
Avec les maisons de retraites, nous sommes dans l'approche des premiers métiers du secteur. Les premiers métiers ASH ne relèvent pas de qualifications particulières. A tel point que depuis les années 90, les effets d'aubaine par l'empilement continu des emplois CES, CEC, CA, CIE etc.. et maintenant les contrats d'Avenir ont tous eu leur succès dans nos maisons de retraite. Il m'est même arrivé de voir dans une maison de retraite plus de CES que d'emplois CDI. Bref, les maisons de retraite sont une fabuleuse porte d'entrée pour les personnes non qualifiées... métiers d'avenir c'est autre chose, on en reparlera. Mais là, où le bât blesse, pour quel débouché? Nous en revenons là, encore une fois, à la problématique du financement - Les maisons de retraite sont un véritable carrefour entre les métiers du social et du sanitaire et devraient pourvoir développer une véritable filière professionnelle pour la qualification des AS et des AMP. Il est anormal que les ratios ASH - AS et AMP, ne puissent s'inverser à l'avantage de ces derniers. Hélas il est plus intéressant pour un employeur d'avoir dans ses effectifs des ASH ou des AVS faisant fonction plus ou moins d'AS ou d'AMP, pour la seule et unique raison d'affiner par le bas la masse salariale. De la même manière on pourrait développer des certifications intermédiaires d'encadrement ou d'approche spécifique sur l'animation, la diététique, ou encore la qualité, entre les AS et AMP et le métier d'infirmier. Quoi de plus désolant, lorsque vous rentrez dans une maison de retraite de voir dans l'entrée, toutes ces personnes âgées rangées en rang d'oignons sans occupation? Quid de la formation en alternance ou de la VAE pourtant mise en avant au début des années 2000 ? Autant de pistes non exploitées pour redonner un tant soit peu d'attractivité à tous ces personnels en souffrance, qui dans ce secteur, pourrait être un véritable vivier d'emplois.