La nécessité d'intervenir sur le corps
" La maladie d'Alzheimer de ma mère a été diagnostiquée fin 2005 à la suite de plusieurs chutes et d'une hospitalisation. Des tests ont été effectués et le verdict est tombé. Je ne voulais pas installer ma mère en EHPAD, je préférais qu'elle reste chez elle, même si l'entourage me poussait à entreprendre la démarche. J'ai fini par céder en février 2006, 500 kms séparent Brive-la-Gaillarde de Paris où je vis et où je travaille, la situation est vite devenue trop compliquée à gérer à distance.
L'état de ma mère a progressé par paliers jusqu'en 2009. Pendant 3 ans, des phases d'agressivité ont succédé à des phases de grande gentillesse. Dans les moments de lucidité, elle devenait agressive envers les autres résidents et les soignants. 2009 a marqué un tournant majeur, la parole s'est raréfiée et les difficultés à s'exprimer de ma mère l'ont rendu de plus en plus agressive. Nous sommes actuellement dans une phase plus sereine car j'ai intégré le fait que la parole ne serait plus notre moyen de communication. Nous créons un lien notamment autour des photos et du passé plus lointain puisque le passé récent lui est étranger. Les échanges et les émotions passent par les regards, les expressions du visage, le toucher.
L'EHPAD soulage les familles qui sont libérées de la gestion du quotidien de leur parent dépendant. Les équipes mettent beaucoup de bonne volonté pour s'occuper au mieux des résidents. Cependant, certaines personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer, comme ma mère, ne peuvent plus exprimer leurs souffrances ou leurs besoins. Par exemple, je me suis rendue compte que ma mère n'avait pas eu de contrôle dentaire depuis trop longtemps. Les soins quotidiens occupent l'essentiel du temps des soignants, ce qui laisse trop peu de place à un suivi de fond et à des soins plus personnalisés.
Je pense que l'on ne travaille pas suffisamment sur le corps via des massages en EHPAD. Il y a 3 mois, la fin de ma mère paraissait annoncée. Ca faisait longtemps que je sollicitais des séances de massage pour elle. Ma mère a enfin pu bénéficier de massages grâce à l'arrivée d'une psychomotricienne favorable à ce type de soins. Il y a souvent un décalage de temps trop important entre les demandes des familles et les réponses qui y sont apportées. Les massages ont changé la donne, ma mère n'a plus peur qu'on l'approche, qu'on la touche, elle est réconciliée avec son corps. Au lieu d'être pratiqués comme des soins palliatifs de fin de vie, les massages auraient dû être intégrés plus tôt dans un accompagnement d'ensemble. Quand la parole s'enfuit, le toucher devient un mode de communication prédominant, d'où la nécessité d'intervenir sur le corps.
Autre remarque, je pense que les EHPAD abritent des personnes qui sont à un stade plus ou moins avancé de la maladie d'Alzheimer. Je ne suis pas certaine que cela tire vers le haut les personnes en début de pathologie et celles qui sont encore en possession de leurs capacités mentales et intellectuelles. "
Laurent Jacotey