Coordonnateur du Pôle Santé-Social à la Fehap, David Causse est un observateur attentif. Fort de ses nombreuses expériences de terrain, il porte aujourd'hui un regard exigeant et affuté sur l'ensemble du secteur, cherchant toujours à décloisonner le sanitaire, le social et le médico-social. Le sujet de la désignation et des missions de la personne de confiance se trouve précisément au coeur de ces enjeux.
La personne de confiance : distinctions juridiques entre le sanitaire et le médico-social
Que dit la loi sur la désignation de la personne de confiance ?
D. Causse : Selon l'article L. 1111- 6 du Code de la santé publique, une personne de confiance peut être désignée par toute personne majeure. Il peut s'agir d'un parent, d'un proche ou du médecin traitant qui sera consulté au cas où la personne serait hors d'état d'exprimer sa volonté et de recevoir l'information nécessaire à cette fin. Son rôle est de rendre compte de la volonté de la personne et son témoignage prévaut sur tout autre témoignage. Cette désignation est faite par écrit et cosignée par la personne désignée. Elle est révisable et révocable à tout moment. Le nouvel article L.311-5-1 du Code de l'Action Sociale et des Familles s'appuie sur cette rédaction originelle.
Quelles sont les difficultés législatives et réglementaires rencontrées ?
D. Causse : Ce sujet de la personne de confiance s'est trouvé à l'intersection de trois textes législatifs, la loi de modernisation du système de santé, la loi dite d'adaptation de la société au vieillissement (ASV) et la loi sur la fin de vie. Nous savons le besoin d'une formulation harmonisée, dans une vision " parcours " surplombant les particularismes des secteurs du médico-social et du sanitaire. Pourtant la traduction des articles adoptés en décrets d'application restent trop différents pour être superposés et assimilés aisément. Cela rendra difficile la mise en oeuvre du texte sur la fin de vie qui n'a pas été véritablement pensé pour le secteur médico-social et son modeste niveau de médicalisation. Le projet de loi ASV comportait aussi une difficulté, celle de rendre incompatible la désignation d'une personne de confiance avec l'intervention d'une mesure de protection. Ce point avait été dûment relevé par la FEHAP et ses partenaires de travail, notamment Génération Mouvement (anciennement Aînés ruraux), la FFAMCO et le SNGC, et il a pu évoluer favorablement dans la loi.
Quelle en est la conséquence ?
D. Causse : Ce qui donne de la valeur à la désignation d'une personne de confiance, c'est précisément qu'elle est désignée, choisie, en confiance. Une " confiance obligatoire " serait un oxymore. Or lorsqu'un protecteur est désigné par un juge, il n'est pas choisi par la personne qu'il est censé représenter. La Fehap et ses partenaires ont soutenu la persistance de cette " autonomie de la confiance ", même en cas de mesure de protection. Toutefois, toujours dans un but de protection, le juge des Tutelles peut " confirmer la mission de la personne de confiance (antérieurement) désignée ", ou " révoquer la désignation de celle-ci ". Cette mesure est un bon compromis législatif, car une confiance peut avoir été mal placée. Un juge doit pouvoir y mettre fin. Mais ces distinctions juridiques entre le sanitaire et le médico-social vont créer de la confusion. Quand une personne bénéficiera d'une HAD pour des soins palliatifs en EHPAD, quel régime de désignation va t-on appliquer ? Nous pensons toutefois que la réalité du terrain, avec ses exigences de pragmatisme et de simplicité fera la différence.
Quelles ont été les autres propositions de la Fehap sur ce sujet ?
D. Causse : La Fehap a notamment proposé, dans la loi de modernisation de notre système de santé, d'actualiser la définition et le rôle de la personne de confiance dans le sanitaire, en intégrant le virage ambulatoire. Il s'agit ainsi de ne pas limiter la désignation d'une personne de confiance aux seules phases d'hospitalisation, mais d'y travailler en amont, dès les consultations de gériatrie par exemple. La médecine de ville est actuellement ignorée par les textes sur ce sujet de la personne de confiance, et ce en dépit de sa place prépondérante dans les parcours de soins et d'accompagnement. Elle devrait aussi jouer pleinement son rôle de sensibilisation et d'anticipation.
Ces questions éthiques rejoignent celles du droit et de la liberté. On a beaucoup débattu du recueil du consentement à l'entrée en établissement...
D. Causse : Ce thème est au carrefour d'enjeux importants pour tout le monde. Pour les résidents et leurs proches, mais aussi pour les gestionnaires d'établissement, qui ont besoin d'optimiser leur organisation, de planifier les entrées et de sécuriser leur taux d'occupation. Il est légitime de veiller aussi à cette préoccupation. Plus qu'un débat sur un délai de " rétractation " de 8 ou 15 jours voire plus, il faut resituer le consentement au quotidien. Les soins sans consentement n'existent aujourd'hui qu'en psychiatrie et dans les cas d'extrême contagiosité.Une annonce de départ peut intervenir à tout moment en EHPAD, bien entendu avec le préavis qui se doit. L'acquiescement à l'entrée en maison de retraite est parfois donné pour soulager les proches ou sous l'impulsion du médecin, non par choix véritable, car la préférence bien naturelle est celle du domicile, tant que cela est possible. Les professionnels doivent donc être attentifs aux formes non verbales et comportementales du désaccord (une sortie inopinée, un bracelet arraché, une posture de retrait soudaine). C'est vraiment le talent et l'énergie bienveillante des professionnels qui confortent la personne âgée et ses proches et renouvellent ainsi l'acquiescement au quotidien. Vu de ma fenêtre, mais c'était aussi le point de vue des membres de l'atelier que j'animais au Comité National de bientraitance (CNDB) sur les articles 25 à 29, 37 et 61, le sujet du consentement doit s'insérer dans le cadre collectif du projet d'établissement, d'un programme de formation, d'une réflexion sur la promotion de la bientraitance, le processus d'évaluation externe et interne. Les occasions ne manquent pas.
Comment réfléchir ces questions avec les usagers ?
D. Causse : Les équipes développent des trésors d'ingéniosité sur le terrain. On a même vu émerger des Conseils de la Vie Sociale inter établissements, pour redonner de l'altérité et de l'extériorité, autant dire de " l'oxygène " à des établissements qui se sentaient engoncés sur certains sujets. Bravo. Cette ouverture favorise le partage d'expériences et crée des respirations tout aussi positives que préventives de l'épuisement professionnel ou de la perte de repères Il s'agit bien ici de " penser " tout autant que de " panser " avec les personnes fragilisées, et pas seulement " pour elles ". L'enjeu est de savoir dynamiser ou relancer la réflexion à l'écoute des personnes et de contribuer ainsi à maintenir des liens vivants avec les usagers et leurs proches.
Quelques repères
A 54 ans, David Causse a un parcours dense.
Côté études : Sciences Po, études de droit, ENSP-EHESP,
Ses fonctions : Directeur d'Hôpital, Lauréat de la FNEP, Missions successives de directions d'établissements hospitaliers, sociaux et médico-sociaux, publics ou prives non lucratifs et de consultant (Directeur de missions au CNEH).
Précédemment : DGA de la FHF puis Directeur Opérationnel des établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux du Groupe Pro-BTP, Chargé d'enseignements au CNAM à à l'Institut Léonard de Vinci, Président de l'Association des Lauréats de la FNEP-Club Pangloss.