Directrice de l'Agence des médecines complémentaires adaptées (A-MCA), Véronique Suissa dévoile les coulisses du bien-être dans son nouvel ouvrage La Société du bien-être, à paraître début novembre chez Michalon. Interview.
La société du bien-être
Vos précédents ouvrages portaient sur des pratiques complémentaires précises. Cette fois, votre approche est plus globale. Pourquoi ce choix ?
Un premier ouvrage collectif publié en 2019 faisait le constat de la place des pratiques complémentaires dans notre société, en s'appuyant sur des regards croisés d'experts. Avec ses 400 pages, ce livre se voulait exhaustif mais de fait, il n'était que partiellement accessible au grand public. Nous avons ensuite publié des « focus par pratique », utiles aux usagers concernés par chaque discipline (homéopathie, art-thérapie, sophrologie, réflexologie, ostéopathie). Aujourd'hui, l'objectif est de proposer un livre différent, accessible à tous, qui permet de comprendre le sujet en profondeur. Cela paraît d'autant plus important que ces dernières années ont été marquées par des remous dans le domaine, entre la proposition de résolution, des travaux ministériels, des polémiques médiatiques. C'est le bon moment pour proposer une analyse plus fine du sujet.
Quels sont les grands enseignements de votre ouvrage ?
Ils sont nombreux mais en voici quelques-uns. Tout d'abord, un fait de société : le rapport des Français à la santé a changé. Ils l'envisagent de façon plus globale en y intégrant le bien-être et les pratiques complémentaires.
Par ailleurs, la médecine tente, non sans difficulté, de se réhumaniser. Les pratiques complémentaires en sont un symbole, même si la médecine entretient avec elles un rapport ambigu. Certaines pratiques sont par exemple déployées au nom de leur utilité, notamment en gériatrie, en Ehpad, ou dans les pôles d'activités et de soins adaptés. À l'inverse, d'autres unités de soins les rejettent au nom d'un manque de preuve scientifique. Il n'y a pas de cohérence.
Le troisième enseignement concerne les difficultés de structuration de l'écosystème où s'entremêlent les attentes plus ou moins compatibles des praticiens, des organisations, des experts, des usagers.
Enfin, les experts mènent des débats interminables sans réelles consistances, notamment pour les citoyens, comme celui portant sur la terminologie des pratiques ou celui axé sur leur niveau de reconnaissance.
Enfin, le dernier enseignement touche aux idées reçues, comme celle consistant à établir un lien entre « médecines complémentaires » et « refus de soins » ou encore la tendance à sectariser le sujet. La complexité humaine réclame de la nuance. Les charlatans de la santé existent, mais ils ne sont pas ceux liés aux représentations.
Face à ces différentes réalités, vous plaidez pour une prise de hauteur avec davantage de bon sens. Pourquoi ?
Le sujet s'est enlisé dans des oppositions inutiles : « pro et anti », « médecine et médecines complémentaires », « soignants et non soignants », « expertise et expérience ». Les acteurs s'opposent et leurs actions sont segmentées. Les chercheurs mènent des études, les praticiens militent pour leur pratique, les organisations oeuvrent pour leur reconnaissance, les antis se focalisent sur les dérives. Il faut dépassionner le débat et être plus pragmatique. Le sujet n'a rien de grave, il devrait rassembler. Prendre de la distance permet de ne pas perdre de vue les vrais enjeux. De nombreuses actions pourraient être mises en place simplement pour peu que chacun accepte d'y mettre du sien.