La tenue vestimentaire du salarié devrait avoir peu d'influence normalement sur le déroulement du contrat de travail et ne pourrait constituer un motif de rupture ou de sanction.
Le droit reconnaît en effet de plus en plus de liberté individuelle au salarié sur le lieu de travail.
La tenue vestimentaire et le voile en Ehpad
La tenue vestimentaire fait cependant l'objet de décisions de justice dont certaines étaient attendues. L'arrêt de la Cour de cassation du 19 mars 2013 donne quelques indications pour ce qui concerne le voile islamique.
1. Les difficiles contrôles des tenues vestimentaires
Compte tenu de l'évolution de la société et de la vie en entreprise, la façon de se vêtir, y compris sur le lieu de travail, relève de la sphère privée. Chacun est libre de s'habiller comme il l'entend; l'intérêt de l'entreprise pouvant cependant justifier certaines limites aux libertés individuelles.
-Les contraintes vestimentaires imposées par l'entreprise
L'article L. 1121-1 du Code du travail interdit à l'employeur d'imposer à un salarié des contraintes vestimentaires qui ne seraient pas justifiées par la nature des tâches à accomplir et proportionnées au but recherché. Les obligations liées à la sécurité ou l'hygiène relèvent de l'intérêt supérieur de l'entreprise et sont des critères reconnus par la loi, justifiant le port, soit de blouse, de casque sur les chantiers ou de chaussures de sécurité etc. L'employeur, qui d'ailleurs a une obligation de sécurité vis-à-vis des salariés, est responsable pénalement si le salarié ne porte pas le vêtement de sécurité.
- La question plus délicate de l'image de l'entreprise
L'entreprise a parfois souhaité, en dehors de toute question de sécurité, imposer un costume ou un code vestimentaire. Depuis longtemps la Cour de cassation, face à des refus de salariés, est allée rechercher si les contraintes vestimentaires imposées étaient justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché. (Cass. soc. 18 févr. 1998).
La question était ancienne puisqu'un décret du 8 Brumaire, an II, précisait : "Nulle personne de l'un ou l'autre sexe ne pourra contraindre aucun citoyen ou citoyenne à se vêtir d'une manière particulière sous peine d'être considérée et traitée comme suspecte et poursuivie comme perturbatrice du repos public. Chacun est libre de porter le vêtement et ajustement de son sexe qui lui convient...".
Ainsi, la contrainte vestimentaire était difficilement imposée; la liberté de se vêtir à sa guise semblait devenir une liberté fondamentale, ce que n'allait pas jusqu'à reconnaître la Cour de cassation (Cass. soc. 28 mai 2003). La Cour de cassation a donné droit à l'employeur qui avait sanctionné un agent travaillant en bermuda sous sa blouse, tenue incompatible avec ses fonctions et ses conditions de travail (Cass. soc. 28 mai 2003); même solution pour une secrétaire d'une agence immobilière, en contact avec la clientèle, qui portait un survêtement (Cass. soc. 6 nov. 2001); un vendeur de magasin de prêt à porter refusant de porter les tenues fournies par l'employeur de la marque qu'il devait représenter (CA Metz 3 mars 2009). Etait également justifié le licenciement d'une aide comptable qui portait "un chemisier transparent" sur des seins nus, ce qui provoquait des troubles dans l'entreprise... (Cass. soc. 22 juill. 1986)
Tout est une question de nécessités, d'impératifs, de buts légitimes poursuivis par l'entreprise, de contact avec la clientèle, etc.
L'ambulancier peut travailler en jean et baskets (Cass. soc. 19 mai 1998), mais le caviste ne peut travailler torse nu (Conseil de prud'hommes de Saumur 14 nov. 1995). Incontestablement cependant les questions se compliquent lorsque se mêlent des questions religieuses.
2. La question du voile
L'article 9 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme reconnaît que le droit à la religion sur le lieu de travail est un droit acquis, et que toute atteinte à cette liberté est proscrite. Certains pays européens sont plus tolérants que d'autres pour ce qui concerne le port du costume religieux.
La question du fait religieux ou du fait "convictionnel", comme l'appellent généralement les directions des ressources humaines afin de ne pas stigmatiser les pratiques individuelles, fait l'objet d'un vaste débat dans l'entreprise qui n'avait été encore tranché par la Cour de cassation. Le port du voile et de tout signe religieux jugé ostentatoire était interdit à l'école et dans les autres organismes publics car les agents de l'Etat, des hôpitaux et des collectivités publiques ont interdiction de manifester leur conviction dans l'exercice de leurs fonctions.
Restait à trancher la question dans les entreprises privées où chacun est libre de pouvoir faire état de sa religion et l'exercer, sauf si cette pratique nuit à la bonne marche de son service ou pose des problèmes de sécurité et d'hygiène. Les conflits se sont multipliés et, pour la première fois, la Cour de cassation vient de rendre une décision qui sera très largement commentée, et sans doute critiquée.
La décision concernait une salariée qui avait été engagée en qualité d'éducatrice de jeune enfants exerçant les fonctions de directrice adjointe d'une crèche et halte-garderie gérée par une association appelée "Baby Loup". La salariée a été licenciée pour faute grave au motif notamment qu'elle avait contrevenu aux dispositions du règlement intérieur en portant un voile islamique.
La Cour de cassation, finalement, va considérer que le principe de laïcité instauré par l'article 1er de la constitution n'est pas applicable aux salariés des employeurs de droit privé qui ne gèrent pas un service public qui ne peut dès lors être invoqué pour les priver de la protection que leur assurent les dispositions du Code du travail; qu'ainsi, les articles L. 1121-1, L. 1132-1, L. 1133-1 et L. 1321-3 du Code du travail disposent que les restrictions à la liberté religieuse doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et proportionnée au but recherché.
Ainsi, le licenciement de la directrice de la crèche privée pour le motif est nul et discriminatoire...
La sanction est particulièrement sévère puisque la nullité, au-delà même du licenciement sans cause réelle et sérieuse, doit entraîner réintégration de la salariée avec paiement de l'intégralité des salaires. Il y a donc aujourd'hui une différence de traitement entre le personnel public et privé. Ce qui est vrai de la crèche le sera sans doute des EHPAD. Selon que vous travailliez dans un établissement public ou privé, le statut et la place du vêtement religieux ne seront pas les mêmes, ce qui peut paraître surprenant.
C'est d'autant plus vrai pour des établissements à vocation de "service public", tels que la crèche en question ou encore un établissement d'hébergement et de soins de personnes âgées.
Ainsi, la conclusion sera l'obligation de tolérance religieuse dans le privé et de respect absolu de la laïcité de l'autre.