Un livre « impudique » présente la toilette comme un rite initiatique mettant à l'épreuve la pudeur des futures soignantes.
La toute première fois : des élèves aides-soignantes témoignent
Honte, gêne, peur, dégoût, mais aussi soulagement, délicatesse, plaisir, fierté, 25 élèves aides-soignantes ont accepté de raconter leur première toilette, « un pas à franchir franchement », résume l'une d'elles. Elles l'ont fait avec un regard sincère dans le rétroviseur, à travers des témoignages écrits recueillis au cours de leur formation et publiés par Catherine Deliot et Christine Matherat dans La pudeur des soignants[1]. Sous-titré « Émois et résonances de la première toilette des élèves aides-soignants », cet ouvrage collectif est inédit en ce qu'il met le projecteur sur le « je » intime mis en jeu lors d'une première toilette avec ses représentations personnelles, familiales, culturelles. Et après une brillante ouverture du débat par Pascale Molinier, il est enrichi par les réflexions éclairantes d'experts reconnus en sciences humaines, philosophes, sociologues... Une première toilette est souvent le choc de deux pudeurs, celle du patient ou résident et celle du soignant. C'est bien celle du soignant qui est ici interrogée.
Les autrices ? Une éthicienne et une pédagogue. Après avoir animé des groupes de réflexion éthique au sein de services hospitaliers et d'établissements médico-sociaux, Catherine Deliot se consacre principalement à l'enseignement de l'éthique auprès des futurs professionnels de santé. Christine Matherat, infirmière-puéricultrice de formation et cadre de santé, a été responsable de l'Institut de formation aides-soignants (Ifas) du groupement hospitalier de territoire Yvelines Nord.
En dehors des traditionnels retours d'expérience d'après stage, émotions et ressentis, c'est là, dans cet Ifas, que « nous avons invité nos élèves, un peu plus tard dans leurs parcours de formation, à mettre en mots cette première toilette, explique Christine Matherat. Sur le plan pédagogique, écrire ce récit leur fait identifier les freins et les ressources, leurs ressources ». Et le travail sur la pudeur irrigue la formation dans son ensemble.
S'autoriser à dire des choses
Ce passage à l'écrit a permis à chacune de mettre à distance la situation vécue et sans doute de s'autoriser à dire des choses qu'elle n'aurait pas forcément dites à l'oral. Avec une certaine maturité, notons-le : la grande majorité des témoignages de cette même promotion sont écrits par des femmes en reconversion professionnelle, ou bien auxiliaires de vie et parfois ex-faisant fonction, en tout cas pas par des adolescentes sortant du collège - mais le miroir tendu pourra néanmoins aider ces dernières ! « Nous leur avons demandé de chercher le souvenir de leur première toilette, quitte à faire ressurgir le trouble qu'elles ont pu ressentir, concède Christine, mais elles sont désormais aptes à le verbaliser en s'inscrivant cette fois dans le statut de future aide-soignante ». Une sorte de rite initiatique professionnel. Pas de très jeunes élèves, donc, pas de garçons non plus, mais après la sortie du livre, elle se souvient d'un élève aide-soignant de Nantes lui disant que « c'est la même chose, mais que les garçons n'osent pas le dire... » Dire quoi ? Si la pudeur se joue beaucoup sur la nudité ou la toilette intime qui perd de son intimité, elle peut aussi se jouer ailleurs, là où on ne l'attend pas. Par exemple, l'une des élèves aides-soignantes ressent comme une intrusion insupportable les questions d'apparence anodine d'un résident d'Ehpad, mariée ? des enfants ?
« Dans la singularité de leur témoignage, elles explorent l'épreuve de leur propre pudeur, et offrent aux autres, élèves, formateurs, accompagnants de stage, un précieux savoir expérientiel, confirme Catherine Deliot qui pendant de nombreuses années est intervenue dans l'Ifas que dirigeait sa co-autrice. La pudeur est à la fois singulière et partagée par tous, et même si elle est indéfinissable collectivement, nous pensons fermement avec Christine qu'elle est véritablement au coeur du travail soignant. »
L'éthicienne explique avoir poussé certaines des élèves dans leurs derniers retranchements, les avoir amenées à se confronter à ce qu'elles-mêmes ne pouvaient ou ne voulaient pas voir.
« Notre livre est impudique parce qu'il parle de choses qu'on ne veut pas entendre, membres amputés, sexe, selles, escarres, corps vieillis, résume-t-elle. Il a valeur politique, il permet aussi de faire entendre la voix de femmes qu'on n'entend jamais. »