Nez rouge ou fard blanc, câlins et bisous, impertinence et décalage, le clown a tous les droits.... Dont celui de contribuer à la qualité de vie de la personne âge dépendante. Des chambres aux couloirs, des résidents aux soignants, que la fête (de l'improvisation) commence !
La vie en clown... et en EHPAD
" Les gens qui ne rient pas ne sont pas des gens sérieux ", aimait à dire l'humoriste Alphonse Allais. Et pour cause : le rire a un impact sur la santé physique et psychique, il aide à lutter contre la dépression, l'anxiété et la colère. Partant de là, il faudrait donc rire beaucoup en EHPAD. Toutefois qui, entre toilette et transmissions, gestion de l'urgence et réunions, a du temps pour faire rire les personnes âgées dépendantes ? La solution a un nom : le clown ! Face à cette situation, Mathilde Haegel a fondé l'association La Vie en Clown, qui intervient dans les établissements ou USLD.
" Notre présence répond à un réel besoin de temps, d'espace d'expression et de fantaisie et de tendresse, souligne l'ex-infirmière. Le clown est une fenêtre bienvenue sur l'extérieur et sur l'imaginaire..." Que les collants fluos, les couettes et autres nez rouges ne trompent personne ! La démarche Clown s'appuie sur des principes forts : artistes formés aux pathologies rencontrées et à la relation d'aide, présence régulière dans la durée, convention d'un an, collaboration suivie avec les soignants. Et les objectifs sont clairs : réaliser une visite vivifiante et personnalisée, potentialiser par le jeu, la musique ou l'expression, les ressources et les qualités relationnelles, adoucir les difficultés de la dépendance, de la solitude ou du deuil, créer du lien dans la collectivité.
Clowns ou Martiens ?
En 2011, Sardine, Agacuk, Jean-Jean ou Cancoillotte, clowns de l'association, ont effectué plus de 1 300 visites individuelles en EHPAD et USLD. Concrètement ? Deux clowns arrivent vers 10h30 et font un point avec les soignants : changement de comportement ou d'état de santé, baisse de moral ou progrès dans l'autonomie, raisons d'admission pour les nouveaux arrivés, objectifs des soignants,... La suite ? Pas facile de la prévoir. Liste des visites en main*, les deux clowns investissent les lieux. " C'est un travail d'improvisation car c'est la personne qui nous guide, s'exclame Mathilde Haegel. Nous rebondissons sur ses phrases, ses postures. L'idée est que la personne participe." Ainsi Madame Z., en voyant arriver les clowns, s'exclame : " Des Martiens... Vous vous êtes trompés de planète ! " Le sujet est trouvé : Madame Z. peut-elle expliquer à deux clowns Martiens comment rentrer chez eux ? L'imagination reprend le pouvoir, le résident aussi... Madame R. devient en un instant l'impératrice du monde. Quel premier ministre va-t-elle choisir, Cancoillotte et Agacuk ? Dans tous les cas, la règle d'or est l'adaptation aux possibilités du résident. Avec Madame B., immobile et aphasique, le clown s'assoit, reproduit posture et mimique... et déclenche, en dix minutes, un grand éclat de rire. " Même si la personne ne peut plus suivre cognitivement un scénario de jeu, elle reste réceptive aux chants, aux couleurs, aux mouvements, au toucher,... rappelle Mathilde Haegel. Face au clown, elle retrouve une présence intense ici et maintenant. " Et plus tard aussi... Madame C, une dame aphasique que sa famille n'avait plus entendu parler depuis plusieurs années, lancera aux clowns : " Alors, on ne dit plus bonjour ? " Autre exemple avec Monsieur R. atteint de la maladie d'Alzheimer et qui ne parle plus qu'espagnol. Pour lui, Agacuk sort sa guitare et Cancoillotte danse le flamenco. Quelques semaines plus tard, alors qu'il n'y a pas eu d'autre rencontre, Monsieur R. dit en croisant les clowns : " Elle, je la connais, j'ai dansé avec elle ! " Les visites donnent donc aux soignants un autre regard sur la personne âgée. Elles leur donnent aussi une pause dans des journées chargées : concert improvisé, remise d'une " médaille d'honneur ",... A la fin de l'après-midi, le sérieux reprend ses droits : les clowns rédigent une transmission écrite aux soignants. Sans blague.
* Certaines équipes ciblent les résidents à suivre régulièrement, d'autres laissent les clowns évaluer les priorités de visite
La vie en clown
La mission sociale de l'association La Vie en Clown est de :
- Organiser et développer les interventions clown de qualité pour adultes dépendants en formant, soutenant et supervisant les artistes clowns
- Aider les structures de soin et de vie à financer les interventions
- Développer la recherche dans le champ du clown relationnel pour adulte dépendant
Ses interventions sont rendues notamment possibles grâce au soutien précieux du Conseil Régional d'Ile-de-France, du groupe Novalis-Taitbout, d'AG2R La Mondiale, de Chèque Déjeuner.
Paroles de résidents
" C'est la fête quand on les voit. "
" Ce sont de bons copains. Ils m'ont donné la médaille des clowns, celle qui fait rigoler quand on a envie de pleurer. "
" Cela donne de l'appétit, c'est drôle, plein d'humour, de tact aussi. "
" Cela donne de la bonne humeur contre le cafard. "
Témoignage Isabelle Poinsignon Animatrice
Centre Hospitalier de Meaux (Seine-et-Marne)
Pôle personnes âgées
23 février 2012
[...] Nous avons pu accueillir en 2011 grâce à différents partenaires financiers des artistes clowns formés à la relation d'aide dans nos unités d'hébergement dites de longs séjours et unité d'EHPAD.
Nous sommes absolument ravis et surpris de l'empreinte que ces artistes laissent sur ces personnes dites désorientées, Alzheimer, dépressives, ou tout simplement en perte de repère, de capacité et de joie de vivre, ce qui peut-être tellement " normal " lorsqu'il s'agit de finir ses jours en institution.
La rencontre des résidents, soignants, familles, visiteurs et des clowns est à chaque fois magique et ce temps de " jeu " improvisé est tellement frais et de qualité qu'il permet à chacun de ressentir des émotions quelles qu'elles soient.
Le lien que permettent de créer ces personnages d'un monde lié à l'imaginaire, autorise la personne dépendante fragile, isolée (parce que c'est le public ciblé pour ces temps " d'animation ") à chercher tout au fond d'elle, consciemment ou inconsciemment le rôle qu'elle souhaite jouer à son tour.
[...]
Ce qu'en disent les familles
" La chaleur, l'humour, l'affection, la créativité de vos clowns apportent un bien-être évident aux personnes âgées, désorientées, souvent dépressives. Quelle thérapeutique complémentaire aux soins et aux ateliers conventionnels, sans alourdir les dépenses de la Sécurité Sociale ! Un bon clown vaut mille fois mieux qu'un anti dépresseur !
Ma mère peut grâce aux clowns exprimer son humour et satisfaire ses besoins de rire.
Catherine Jouas, fille d'une résidente de l'EHPAD Les Airelles.