Parce que la légalisation de l'aide active à mourir n'est pas sans risque de dérives, le Cercle Vulnérabilités et Société a remis ce 21 juin, à Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'Organisation territoriale et des Professions de santé, une note de position sur l'évolution du cadre légal en matière de fin de vie.
Le Cercle Vulnérabilités et Société propose un cadre de réflexion sur la fin de vie à l'usage du législateur
Après la convention citoyenne sur l'accompagnement de la fin de vie en France et la mission parlementaire d'évaluation de la loi dite « Claeys-Leonetti », Emmanuel Macron a annoncé l'élaboration d'un projet de loi avant la fin de l'été 2023 pour redéfinir un modèle français de la fin de vie incluant l'ouverture d'un droit à une aide active à mourir dès le début de l'été.
Le Cercle Vulnérabilités et Société s'est emparé de cette question et formule dans sa note « Pour un modèle français solidaire de la fin de vie - Points de vigilance et recommandations à l'usage du gouvernement et du législateur » des mises en garde et propositions pour protéger les personnes les plus vulnérables, soutenir leur entourage, offrir aux professionnels et à l'ensemble du système sanitaire, médico-social et social, un cadre adapté en cas de légalisation d'une aide active à mourir.
Dépénaliser plutôt qu'autoriser
Face à la légalisation éventuelle d'une aide active à mourir, les membres du Cercle s'inquiètent des éventuelles dérives liées à un périmètre d'action instable (les critères temporels de fin de vie, de maladie incurable, de souffrances, d'une volonté libre et éclairée, de l'âge...). Ils soulignent une possible fragilisation des populations les plus vulnérables « qui peuvent se trouver en perte de désir de vivre face à des conditions de vie très dégradées ou celles qui peuvent culpabiliser d'être un poids moral ou matériel pour leurs proches ou pour la société » (personnes vieillissantes, atteintes de maladies chroniques incurables, de troubles psychiques ou psychiatriques, d'addictions très sévères, de handicaps...).
Diversement considérées, ces situations peuvent être sujets à glissements. C'est ainsi que le Cercle souligne que « l'aide active à mourir devrait rester de l'ordre de l'exception, faisant le cas échéant plus l'objet d'une dépénalisation au cas par cas que d'un droit critérisé -surtout s'il devait s'agir d'un droit créance-, préservant ainsi l'interdit de tuer comme un principe juridique et d'organisation sociale ».
Le cercle souligne également les conséquences d'une aide active à mourir sur les proches soumis à des conflits de loyauté et sur les professionnels dont la fonction de soin se trouverait dévoyée.
Des propositions concrètes
Au contraire, il émet des recommandations d'actions pour promouvoir l'« aide à une vie désirable jusqu'au bout », l'élaboration d'un cadre légal restreint et contraignant la promotion de perspectives alternatives et capacitaires, tout en veillant au soutien des proches et de l'entourage et en préservant les acteurs du système de santé. Cela passe par la création d'un dispositif externe d'évaluation des aides actives à mourir effectuées en veillant à l'indépendance et à la totale impartialité des membres et de la procédure, mais aussi à la sanctuarisation de l'objection de conscience, au transfert de la « responsabilité d'autoriser a priori un suicide assisté ou une euthanasie, non aux médecins seuls, mais à une formation collégiale au sein d'une instance judiciaire ad hoc »...
La formation et l'information de tous
Le Cercle recommande le développement des soins palliatifs pour tous et partout, qui passe par une acculturation de l'ensemble des professionnels. Il juge indispensable « de faire en sorte que tout professionnel susceptible d'être en lien avec une personne en fin de vie dispose du bagage minimal pour accompagner techniquement et humainement ce moment universel ».
Pour mémoire, le Cercle Vulnérabilités et Société recommande prioritairement de :
1- Consacrer des principes structurants : primauté de la volonté libre et éclairée du sujet, interdiction de l'obstination déraisonnable, exceptionnalité de l'aide médicale à mourir ;
2- Garantir l'accès aux droits déjà existants, mais encore méconnus et insuffisamment suivis d'effets (loi sur les soins palliatifs de 1999, sur les droits des patients de 2002, sur la fin de vie de 2005 et 2016) ;
3- Garantir des soins palliatifs effectifs Précoces Partout et Pour tous et Par tous (SP4P) ;
4- Limiter l'aide active à mourir aux personnes atteintes de maladies incurables, avec un pronostic vital engagé à moyen terme et aux souffrances physiques réfractaires, s'appuyant sur les indications de la sédation profonde et continue jusqu'au décès ;
5- Conférer la responsabilité d'autoriser a priori un suicide assisté ou une euthanasie, non aux médecins seuls, mais à une formation collégiale au sein d'une instance judiciaire ad hoc ;
6- Sanctuariser l'objection de conscience, en protégeant les professionnels qui l'invoqueraient de toutes pressions insidieuses ;
7- Garantir, par un moyen légal approprié, la meilleure robustesse possible des limites et critères posés afin de prévenir et limiter les risques de glissement du périmètre fixé par la loi.
8- Poser, suivant le modèle de révision des lois de bioéthique une procédure contraignante de révision ou d'extension de la loi.
Et cela passe a minima par :
1- Le développement de la lutte contre l'isolement social et accentuer la politique de prévention des risques suicidaires ;
2- Le soutien actif aux personnes vulnérables en inscrivant notamment les actions concourant à la préservation du désir de vivre (programmes de l'action sociale des collectivités territoriales, procédures de certification des établissements de santé et médico-sociaux...) ;
3- L'institutionnalisation de la pair aidance ;
4- Le soutien actif aux proches d'une personne en fin de vie ou en situation suicidaire ou d'aide active à mourir ;
5- la promotion d'une approche générale des vulnérabilités (maladie, handicap, aidance, chômage, etc.) humainement et socialement valorisante comme source d'adaptabilité, de socialité et d'innovation ;
6- Le lancement de programmes d'actions pédagogiques pour remettre la fin de vie, la mort et le deuil au centre de la cité (école, travail) ;
7- La reconnaissance et l'inscription du deuil comme un des éléments constitutifs de la problématique globale de la fin de vie.