Perte d'un être aimé, perte de la parole, perte de soi-même dans la maladie, la personne démente a souvent déjà connu des deuils. Le point de vue de Geneviève Demoures, psycho-gériatre au Verger des Bains (Dordogne).
Le cumul des deuils
Le patient dit dément est un familier de la mort. Il vit des deuils depuis longtemps : ceux de sa vie passée, et ceux du présent.
Les deuils du passé ont souvent été traversés de façon douloureuse. Il peut s'agir de la perte d'un parent dans le jeune âge avec une difficulté à se construire face à un narcissisme blessé, des renoncements et des blessures psychiques profondes, de la perte d'un enfant en bas âge, ou encore la perte d'un proche. Il peut s'agir aussi d'une rupture familiale, dans une période de fragilité où cette nouvelle épreuve peut figurer " la perte en trop " qui risque de faire décompenser une pathologie.
Au présent, d'autres deuils s'imposent peu à peu : celui de la vitesse de la marche, de la souplesse, de la capacité à voir et à entendre, de la continence de ses sphincters, de l'autonomie, de la performance de la pensée. Puis viennent le deuil de la parole, de la communication, l'échec de la rencontre. L'entrée dans la maladie a représenté parfois la seule issue aux yeux du patient entre la peur de mourir et la difficulté à vivre. Il a pu " choisir " le reniement de lui-même, faire le deuil de lui-même. Ainsi cette dame désorientée parle d'elle-même à la troisième personne : " La pauvre Denise qui a perdu sa maman ! "
Ne meurt que celui qui est vivant
Il y a parfois des mots : " J'ai peur, je suis déjà morte, enterrez-moi, je ne suis plus rien... Par où je sors ? Et si je me trompais de porte ? " Ces phrases entendues au quotidien, ces conduites qu'on dit troublées (chutes, glissement du fauteuil à terre, déambulation) permettent déjà de parler de la mort avant qu'elle ne vienne. Nul ne sait ce qui se vit dans les derniers jours, les derniers instants, car la communication verbale fait défaut la plupart du temps. On peut alors s'interroger : et si les troubles du comportement étaient l'expression de l'angoisse de la mort et de l'après, voire de jugement dernier pour certains ?
Plus souvent, dans le non-dit des émotions, le patient s'exprime dans un regard, une main serrée, un sourire ou une larme qui coule. La prise en compte de ces questionnements, l'écoute attentive des ressentis du patient, la parole échangée et les mots pour le dire, la place laissée à la mort dans l'établissement permettent ou non cette familiarité avec la fin de vie et l'anticipation nécessaire pour apprivoiser le moment de la mort. Les rituels mis en place par le malade et l'équipe accompagnent ce cheminement. Ainsi, et jusqu'aux derniers instants, le patient reste un sujet, un sujet en souffrance même si la douleur physique est calmée, mais aussi un être désirant, attentif aux petits bonheurs et désireux de relation. Ne peut mourir que celui qui est reconnu dans sa dimension humaine et de relation ! Ne meurt que celui qui est vivant.