Un arrêt inédit rendu le 11 janvier 2017 (pourvoi n° 14-21548) par la chambre sociale de la Cour de cassation relance le débat en donnant raison à un directeur d'établissement qui considérait qu'il pouvait prétendre au paiement d'heures supplémentaires.
Le directeur d'un EHPAD peut-il prétendre au paiement d'heures supplémentaires ?
Le plus souvent, la réclamation relative au rappel d'heures supplémentaires par un directeur de maisons de retraite du secteur privé aura lieu au moment de la contestation de son licenciement. Pour y échapper, l'employeur peut contester la réalité de ces heures, il peut aussi tenter d'opposer la qualité de cadre dirigeant.
En effet, le statut du cadre dirigeant exclut la réglementation sur la durée du travail (Code du travail, art. L. 3111-2).
C'est donc l'essentiel de la discussion qui s'est tenue devant la Cour d'appel de Nîmes, puis devant la Cour de cassation, qui a rendu sa décision le 11 janvier 2017, examinant si le directeur de l'établissement pouvait être assimilé à un cadre dirigeant, ce qui lui donnait droit ou non au bénéfice du paiement des heures supplémentaires.
La définition du cadre dirigeant
L'article L. 3111-2 du Code du travail donne la définition du cadre dirigeant : « Sont considérés comme ayant la qualité de cadre dirigeant les cadres auxquels sont confiées des responsabilité dont l'importance implique une grande indépendance dans l'organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus levés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement ».
Ainsi que le rappelle la Cour de cassation dans l'arrêt précité du 11 janvier 2017, trois conditions doivent donc être remplies simultanément et cumulativement :
- Avoir des responsabilités importantes impliquant une large indépendance dans l'organisation de son temps de travail,
- Etre habilité à prendre des décisions de manière largement autonome,
- Percevoir l'une des rémunérations les plus élevées de l'établissement.
La jurisprudence y a ajouté une quatrième condition : diriger l'entreprise (Cass. soc., 31 janvier 2012, n° 10-24.412 ; Cass. soc., 2 juill. 2014, n°12-19.759) c'est-à-dire participer à la direction « stratégique » de l'entreprise, liant cette exigence à celle de l'autonomie dans les prises de décision. (Cass. soc., 2 juill. 2014, n° 12-19.759).
La Cour de cassation écarte ainsi de la qualification de cadre dirigeant, les salariés qui ont de hautes responsabilités techniques ou managériales, dès lors qu'ils ne participent pas effectivement à cette direction.
A titre d'exemple un salarié, qui dispose d'une grande liberté dans l'organisation de son travail, de son emploi du temps, ne peut être considéré comme ayant la qualité de cadre dirigeant, s'il ne dispose pas d'une délégation générale de l'employeur, n'exerce pas les prérogatives de ce dernier sans avoir à solliciter d'autorisation préalable, et si sa rémunération ne se situe pas dans les niveaux les plus élevés du système de rémunération pratiqué dans l'entreprise ( Cass. soc., 3 nov. 2004, no 02-44.778 ).
Le directeur d'une maison de retraite peut-il être un cadre dirigeant ?
L'avenant du 10 décembre 2002 concernant les établissements privés accueillant des personnes âgées, pris pour tenir compte des spécificités du secteur d'activité, prévoit que les dispositions de la convention collective nationale de l'hospitalisation privée du 18 avril 2002 sont applicables aux entreprises relevant du secteur médico-social privé à statut commercial à l'exclusion des dispositions spécifiques aux cadres et notamment à la classification des emplois.
Tant l'avenant que la convention collective visent la qualification de cadre dirigeant, précisant que « la délégation de pouvoir suppose compétence et moyens permettant de l'assumer ». Cependant, ils n'exigent pas que cette mention figure dans le contrat de travail.
Le juge devra donc « examiner la fonction réellement occupée par le salarié au regard de chacun des trois critères précités afin de vérifier si le salarié participait à la direction de l'entreprise » (Cass. soc., 31 janv. 2012, n°10-23.828 ). Mais souvent l'employeur sera tenté de soutenir que le directeur est le dirigeant de fait de l'association ce qui ne correspond la plupart du temps à aucune réalité « sauf à considérer le conseil d'administration comme un simple organe chargé d'entériner des décisions imposées par le directeur de l'établissement. »
C'est généralement l'inverse !
En conséquence, la Cour de cassation a exclu le statut de cadre dirigeant en l'espèce.
Dès lors, la question des heures supplémentaires est posée.
Le paiement des heures supplémentaires
La Cour de cassation reprenant l'arrêt de la Cour d'appel de Nîmes du 20 mai 2014 a remarqué que même si le directeur fait lui-même les plannings et organise son temps assez librement, la mention d'un temps de travail à 35 heures n'exclut pas la réalité d'heures supplémentaires.
L'employeur encourt alors le paiement des heures effectuées, chaque semaine, au-delà de 35 heures, avec application du taux de majoration des heures supplémentaires.
Aussi il convient de garder en mémoire qu'au visa de l'article L. 3245-1 du Code du travail, l'action en paiement du salarié se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ou lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.
Lorsque l'horaire de travail comporte l'accomplissement régulier d'heures supplémentaires, l'employeur et le salarié peuvent convenir d'une rémunération forfaitaire incluant dans la rémunération mensuelle un nombre déterminé d'heures supplémentaires hebdomadaires. Dans ce cas, seules les heures supplémentaires effectuées au-delà de ce nombre seront rémunérées en sus de ce forfait.
Le forfait ne se présume pas. C'est à l'employeur d'apporter la preuve d'un forfait rémunérant uniformément des heures normales et les heures supplémentaires (Cass. soc., 25 mars 2009, n°08-41.229).
La loi Travail du 8 août 2016 favorise le forfait en heures, pour les cadres notamment, mais en précisant les conditions qu'avait posées la Cour de cassation.
La mise en place de convention individuelle de forfait en heures ou en jours sur l'année est subordonnée à la conclusion d'une convention ou un accord d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut par une convention ou un accord de branche. (C. trav., art. L. 3121-63.
Reste que le contrôle des heures effectuées par un directeur est délicat puisqu'il est l'auteur lui-même des plannings et du contrôle des heures.