Privilégier le lien plutôt que l'activité, c'est l'essence du projet intergénérationnel établi entre l'EHPAD Le Verger de Vincennes (Le Noble Age) et la crèche du Domaine du Bois.
Le lien, une priorité
Bon à savoir
- travailler six mois en amont
- définir ses priorités : le plaisir du partage, la valorisation de chacun, un travail sur l'individualité au sein de deux collectivités, rendre acteurs et autonomes les participants et réfléchir au positionnement de l'équipe à leur côté.
- expliquer le projet aux résidents, familles et équipes
- préparer les enfants à la possibilité d'un décès
- obtenir l'accord des médecins responsables des deux établissements
-prévoir un budget pour le petit mobilier et les fournitures, ici 1 300 euros
- prévoir un groupe comprenant autant d'adultes que d'enfants.
Ils sont douze. Il y a Célia, Luca, Ysée, Louis, Hélina, Anastasia. Et aussi Georgette, Paulette, Alain, Christine, Joséphine, Marie-France. Les premiers ont entre deux ans et demi à trois ans, les autres 75 ans et plus. Où sommes-nous ? A la Résidence du Verger de Vincennes (Fontenay-sous-Bois, 94), où le mardi matin, six enfants de la crèche du Domaine du Bois et six résidents se retrouvent pendant une heure.
Ici c'est un sourire, là des bisous, et le temps d'enlever bottes, manteau et bonnet, les petits rentrent dans le salon. Canapés, fauteuils et tables basses sont disposés en rond et livres, puzzles et crayons de couleur attendent. Traditionnel partenariat intergénérationnel autour d'activités classiques ? Non ! Anne-Sophie Fratello, coordinatrice des projets d'animation dans l'EHPAD, et Sylvie Desglands, directrice de la crèche et Marie-Noëlle Tardy, éducatrice de jeunes enfants réagissent. " Nous voulons individualiser au maximum la relation entre l'enfant et l'adulte, précisent-elles. Nous avons choisi un groupe réduit comprenant autant d'enfants que de résidents. Nous privilégions l'échange plutôt que l'activité pour favoriser la transmission de l'expérience. "
Le projet permet aussi aux personnes âgées de retrouver des postures et des sensations oubliées, et de démystifier l'image des résidences. Les objectifs, précisés dans une convention * entre les deux partenaires, suscitent d'ailleurs l'enthousiasme des parents.
Luca s'installe près d'Alain avec un puzzle, Ysée grimpe sur les genoux de Joséphine avec un livre. Dès la troisième séance l'individualisation est devenue une réalité ! Aussi les rituels d'arrivée et de séparation prévus, la musique ou l'organisation des sièges, sont devenus superflus. Les enfants appellent les résidents par leur prénom (les adultes utilisent eux le " Monsieur " ou " Madame ") et se sentent chez eux ! Preuve en est, sur le mur, une fresque colorée qu'ils ont réalisée. " L'autre moitié de la fresque est dans la crèche ! " confie Marie-Noëlle, une des éducatrices de la crèche. Ici, il ne s'agit pas de peinture mais d'avoir l'oeil partout. " Nous ne sommes pas " guidantes ", nous permettons juste au lien de se faire, enchaîne l'éducatrice. Nous voulons aussi éviter les mises en échec. Un enfant peut quitter un résident pour prendre un livre et le lire, seul dans un coin... Un adulte qui a déjà un problème d'estime de soi peut ne pas comprendre ce que dit un enfant. L'équipe va alors un court temps se mêler au jeu, à la discussion pour que le lien perdure."
Les participants sont tous volontaires mais la bonne volonté ne suffit pas. " Les adultes - on parle bien d'adultes - doivent s'engager pour un trimestre, comme les enfants, souligne Anne-Sophie Fratello. Même si la projection dans la durée est difficile pour eux, l'engagement est une posture intéressante, inhabituelle pour des résidents. La structure même des établissements peut les amener à être des consommateurs d'animation. Ici, la logique est différente. " L'engagement d'ailleurs commence par le respect des horaires : il faut être prêts à 10h, ce qui implique une collaboration soutenue avec les soignants.
Devant un puzzle, la petite Célia s'applique. La girafe s'ajuste dans l'emplacement prévu, l'éléphant aussi. Georgette sourit à l'enfant. " C'est bien, tu as réussi ! " Une animation où les résidents félicitent au lieu d'être félicités, voilà qui est intéressant ! Sur le fauteuil voisin, une résidente feuillette un livre avec un enfant. " Il y a de la joie ! commente-t-elle. J'aime bien l'histoire des bébés-chouettes." Sa voisine acquiesce : " Moi, je suis contente : je ne vois pas mes petits-enfants, ils habitent en Nouvelle-Calédonie. " A quelques pas, Anne-Sophie Fratello observe. Cette dame, qui ne participe qu'à la revue de presse semble heureuse et actrice. Le choix des participants, objet d'une discussion approfondie avec l'équipe soignante, a donc été judicieux. " Le lieu redonne de l'autonomie !, raconte la responsable de l'animation. Les bustes se redressent, les gestes, les paroles ou les astuces d'antan reviennent."
Il est 11h30, l'heure du départ... Joséphine aide Hélina à s'habiller. Louis offre son dessin à Christine, " Il l'a fait de tout son coeur, " remarque la dame. Luca pleure, il veut " rester avec les papys et mamys ". Pour les adultes, la matinée n'est pas terminée. Comme toute équipe adulte et responsable, les résidents vont échanger leurs impressions avec les professionnelles et organiser la prochaine rencontre. " Ces petits sont très éveillés ! dit une résidente. " On pourrait leur faire faire de la pâte à modeler " suggère une autre. " C'est un peu bruyant pour moi ", soupire une autre.
Aux beaux jours, les résidents iront visiter leurs protégés. Et il y aura le goûter de fin d'année, avec les parents et les familles... Peut-être aussi que cet été, comme l'été dernier, certains enfants rendront visite avec leurs parents à leur Papy ou Mamy d'adoption, en dehors de tout projet.
Pour l'heure, Anne-Sophie Fratello remet la salle en ordre. Dans sa tête, les idées fourmillent. " L'an dernier à la crèche, raconte-t-elle, une résidente est restée un long moment devant un berceau. Cela me donne à réfléchir sur le lien intergénérationnel... "