Médiateur dans le conflit de Foucherans, Vincent Chagué intervient auprès de nombreux établissements pour résoudre les conflits et améliorer l'organisation du travail. Il dirige également un master formant des directeurs d'établissement. Entretien.
Le management en question
Vous êtes médiateur auprès des grands groupes. Quel est votre parcours ?
Vincent Chagué : Après un doctorat en Sciences de gestion, j'ai pris la direction de plusieurs masters, dont celui de l'INSEEC. J'ai donc une trajectoire plutôt universitaire. Pourtant en parallèle, j'ai réalisé des missions de conseil auprès d'établissements pour résoudre les conflits. Les chantiers sont nombreux, depuis la négociation des accords du temps de travail à la réorganisation globale des structures. Mais dans les cas de crise, je préfère parler de négociateur plutôt que de médiateur. En effet, je négocie toujours pour le compte de quelqu'un, souvent un groupe, qu'il soit du secteur commercial, public ou associatif. Et ce, même si l'accord gagnant/gagnant est la seule garantie d'un résultat pérenne.
Vous êtes intervenu lors du conflit très médiatisé de Foucherans. Quelles sont les clés de votre réussite ?
Vincent Chagué : Le conflit s'enlisait depuis plus de 4 mois. Des négociations menées avec la direction, l'ARS puis la préfecture n'avaient pas abouti. Je m'étais donné quelques jours, 4 au maximum, pour le résoudre. Au-delà, je savais que cela serait voué à l'échec. J'avais très peu de marges de manoeuvre et pas grand chose à offrir. L'ARS avait déjà débloqué deux postes et la préfecture avai t suggéré au groupe de verser une prime de 450 euros nets aux grév istes. Les revendications étaient satisfaites mai s pourtant le conflit perdurait. Les grévistes ne se sentaient pas reconnus. Or comme je ne pouvais rien offrir de plus sur le plan financier, il me fallait jouer sur un autre tableau. J'ai donc insisté sur l'utilité de leur combat et j'ai proposé de monter un observatoire du bien-être au travail avec l'ensemble du personnel qui, s'il fonctionnait correctement, pourrait être généralisé à l'ensemble des établissements du groupe. C'est une manière de marquer le combat et de l'inscrire positivement dans l'avenir. Mais pour mener à terme ces négociations, il est impératif de bien connaître le secteur médico-social et ses acteurs si singuliers. Je crois aussi beaucoup à la transparence et l'honnêteté. Reconnaître et se montrer sensible aux difficultés rencontrées par les salariés d'EHPAD, faire preuve d'une réelle empathie, puis essayer de trouver le point d'équilibre, voilà pour moi la clef du succès. D'ailleurs, même si je sais où je veux aller, j'ignore toujours quel chemin je vais emprunter. Je n'ai pas de tactique prédéterminée, juste une grande liberté d'action.
Avez-vous déjà des premiers éléments sur cet Observatoire du bien-être au travail ?
Vincent Chagué : Oui et ils sont plutôt intéressants. Nous avons adressé un questionnaire avec les bulletins de paie à l'ensemble des salariés. Les 33 questions portaient sur les conditions de travail, le management, l'épanouissement personnel, la cohésion d'équipe, l'organisation et la communication interne. Ces questions seront reposées tous les trimestres pour mesurer l'évolution de la perception des salariés en termes de bien-être au travail. Les résultats de ce premier questionnaire sont plutôt positifs. Ils révèlent que les salariés sont satisfaits de leurs conditions de travail, de la cohésion d'équipe et s'épanouissent dans les fonctions occupées. Seuls le management et l'organisation sont à améliorer. Nous allons renforcer l'accompagnement personnalisé des salariés. Le comité de pilotage, qui va se réunir prochainement, va permettre de déterminer les actions prioritaires à engager.
Comment selon vous améliorer ce management de proximité ?
Vincent Chagué : Il faut commencer par établir avec les salariés des fiches de poste précises, et les accompagner pour leur permettre de réaliser leurs objectifs, qui doivent d'ailleurs être réévalués chaque année. Les salariés ont besoin d'être encadrés pour se sentir bien et progresser dans l'entreprise. La reconnaissance de leur travail et le management de proximité sont essentiels. Si l'augmentation de salaire apporte une satisfaction momentanée, la gratitude inscrit le bien-être de manière plus profonde et pérenne. Mon conseil est bien de faire du management positif. Avant les salariés étaient payés pour travailler, aujourd'hui on constate qu'ils sont payés pour venir travailler. Il faut quelque chose de plus pour garantir un engagement durable dans le travail. C'est la façon dont on va les accueillir, les saluer, s'intéresser à leur quotidien et surtout être présent à leur côté qui va faire la différence et développer leur sentiment d'appartenance. C'est la raison pour laquelle la présence du directeur comme des managers de proximité (infirmières coordinatrices, cadres de santé, gouvernantes... ) dans les étages auprès des personnels est fondamentale. Il faut alléger les tâches administratives des directeurs pour qu'ils puissent se rendre disponibles. J'ai en effet constaté que tous les conflits inscrits dans la durée étaient liés à un management défaillant.
La formation est-elle une clef pour les directeurs ?
Vincent Chagué : Certainement. Elle aide à développer des outils concrets et à comprendre les grands principes du management mais elle ne suffit pas. La personnalité, l'intelligence émotionnelle et relationnelle sont essentielles dans cette fonction. Un bon manager doit être capable de poser clairement des objectifs pour chaque salarié, et d'établir une vraie relation avec chacun. Il doit pour cela savoir dire les choses, poser les limites et déterminer la latitude et la liberté d'action de chacun. Cette liberté se construit et s'octroie progressivement, ce n'est en tous cas pas au salarié de définir son champ d'intervention. Les soignants, comme tout être humain et c'est normal, pensent toujours à leur propre confort, avant celui des personnes fragiles dont ils s'occupent. Les négociations de planning en sont un bon exemple. Le manager doit être présent et trancher pour éviter et prévenir d'inévitables et naturels glissements.
Mais réduire les difficultés des EHPAD au seul management, comme l'a fait récemment la ministre, n'est-ce pas un déni de compétences assez violent ?
Vincent Chagué : Si certainement. Mais on ne peut pas lui donner complètement tort. Je suis d'accord avec le fait qu'on a demandé ces derniers mois beaucoup d'efforts aux EHPAD, qui accueillent par ailleurs des personnes très dépendantes pour des séjours de plus en plus courts. Mais je crois vraiment que le management peut faire la différence. De toute façon , on voit toujours le verre à moitié vide et les manques de personnels. C'est une réalité dans nombre d'établissements à cause d'un absentéisme récurrent. Mais en accompagnant les personnels, on limitera l'absentéisme et le turn-over si délétères. Je mettrais juste un bémol pour les EHPAD publics qui rencontrent une difficulté supplémentaire liée au statut des agents, qui entrave la liberté d'action des directeurs. L'absence de jours de carence a pu favoriser également les arrêts de travail. Il est aussi difficile pour les directeurs de sanctionner des insuffisances professionnelles alors qu'ils doivent composer avec des syndicats puissants. La qualité du management devient pour eux un enjeu encore plus fort. Dans chaque établissement, il y a trois types de salariés. Ceux qui s'engagent toujours, passionnés par leur métier et animés d'une véritable vocation ; ceux que j'appelle « les passagers clandestins », qui s'engagent le moins possible ; et un troisième groupe, qui navigue entre les deux premiers. Dans le cadre des EHPAD, on est en plus confrontés à des soignants en contrats précaires, souvent sous-qualifiés, et qui n'ont pas choisi de travailler avec des personnes fragiles. Tout l'enjeu est donc de ramener le troisième groupe, les « incertains », vers le haut et de faire adhérer les « passagers clandestins ». Mais pou r cela, il n'y a selon moi qu'une seule solution, consacrer du temps aux équipes et valoriser le travail bien fait.