A l'extrême Ouest de la Bretagne, l'Ehpad des Abers rêve de révolutionner l'accueil des personnes âgées. En regroupant ses trois établissements à Lannilis (Finistère), son projet de construction, qui devrait voir le jour en 2028, ambitionne de créer un lieu de vie novateur qui s'apparente davantage à un village qu'à un établissement médical.
Le pari audacieux de l'Ehpad des Abers
A la pointe bretonne, dans le Finistère, « l'Ehpad des Abers » planche sur un projet qui pousse loin la logique domiciliaire. Implanté dans les trois communes de Lannilis, Landéda et Plouguerneau, cet établissement de la fonction publique hospitalière accueille 291 résidents, dont 47 en unité de vie protégée. Il dispose d'un accueil de jour et d'un SSIAD.
« Il y a quelques années, nous avons constaté que nos établissements vieillissaient et correspondaient de moins en moins aux besoins des personnes âgées. L'Ehpad d'aujourd'hui est souvent considéré comme la dernière solution, un lieu de passage où personne ne souhaite aller », glisse Anna Edelmayer, la directrice adjointe de cette structure de 230 salariés.
A l'origine, un projet de rénovation des trois établissements est envisagé. Mais il coûte plus cher qu'une réhabilitation / extension finalement retenue par la direction. Il faut dire que le site de Lannilis dispose d'une grande réserve foncière à l'arrière de l'établissement. A l'issue des travaux, probablement en 2028, les résidents des trois Ehpad seront tous regroupés à Lannilis. Objectif : proposer un projet qui « casse les codes » et donner envie d'y entrer plus tôt.
24 m² et une kitchenette
Les mots ont leur importance pour les protagonistes de ce projet qui ne parlent plus d'Ehpad, mais de « logements » et de « studios ». Derrière ce vocabulaire, la volonté de renouveler l'offre médico-sociale, de s'extirper d'une vision purement sanitaire, pour mieux répondre au besoin grandissant de vie privée et d'intimité des personnes âgées.
Ce parti pris s'incarne notamment dans des chambres légèrement plus grandes. Alors que les chambres classiques mesurent en général de 19 à 22 m², le projet offre 24 m² environ dont un espace kitchenette intégré. Les résidents peuvent y recevoir leur famille, organiser un goûter, un apéritif, se faire livrer une pizza...
Une rue intérieure ouverte à tous
Le projet bannit également les longs couloirs uniformes et s'articule autour d'une « rue intérieure » qui structure différents « quartiers d'habitation ». Cette rue couverte relie le bourg de Lannilis à la Vallée Verte, un lieu de balades, riche en faune et en flore.
L'Ehpad actuel est situé aux portes du bourg. Le projet joue avec les lieux pour le décloisonner, faisant de l'établissement futur, un lieu de passage des habitants de Lannilis vers la Vallée Verte. « La rue est largement ouverte, un peu comme dans une galerie commerciale », expose Maxime Damman, architecte associé du cabinet Chabanne, en charge du projet architectural.
Donner envie de passer du temps
Chacun peut traverser l'établissement pour se rendre sur des lieux d'attractivité mutualisés qui jalonnent la rue intérieure : un restaurant bistronomique, une grande salle de spectacle polyvalente, des petits commerces, un manège... La balnéothérapie, avec son grand bassin et son parcours de marche, est également accessible aux résidents, familles et habitants du village. Le projet a été pensé pour rendre agréable la visite à l'Ehpad quand rien n'incite souvent à y prendre son temps. « Quand les petits-enfants viennent, il n'y a souvent pas grand-chose à faire pour eux... », souligne Maxime Damman.
Rattrapés par le volet réglementaire
Néanmoins, dans cette artère couverte et chauffée, tout n'est pas autorisé comme dans n'importe quelle rue. Les vélos, par exemple, sont interdits. Pour combiner liberté et sécurité, il a fallu mettre le curseur au bon endroit. « Nous construisons un bâtiment qui accueille le public et sommes vite rattrapés par le volet réglementaire. Nous avons composé avec les obligations pour effacer visuellement les contraintes et garder la quintessence du projet », explique Maxime Damman.
Maintien de zones de sécurité et contrôle d'accès
Maintenir des zones de sécurité pour les habitants et notamment ceux atteints de troubles cognitifs ou risquant de chuter est un gros travail, tout comme la signalétique et le contrôle d'accès. Dans ce très grand établissement, chacun doit pouvoir s'y retrouver et disposer d'espaces et de compartiments dédiés et modulables. « Par exemple, notre grande salle de spectacle située au centre de l'établissement est accessible depuis la rue en journée. Mais, en soirée, si la commune organise un événement, elle sera accessible uniquement par le parking souterrain », précise Anna Edelmayer.
Des soins comme à domicile
Pour permettre une meilleure intégration à cette vie en ville, les soins seront également prodigués sous une forme différente. « Nous allons certainement changer la tenue professionnelle des agents soignants pour qu'on n'identifie pas l'établissement à un hôpital bis pour personnes dépendantes. L'accompagnement soignant doit être réalisé selon les mêmes modalités qu'à domicile », précise Anna Edelmayer.
Une subvention de l'ARS pour ce projet précurseur
Premiers coups de pioches attendus au premier trimestre 2025, pour un coût total évalué à 30 millions d'euros. « Il est financé par les résidents eux-mêmes, via une augmentation du tarif du prix de la journée de 10 euros, soit 300 euros par mois. Mais nos tarifs en hébergement complet de 63,22 euros se situent en dessous de la moyenne départementale et le resteront », assure Anna Edelmayer.
Un emprunt a également été contracté, pour compléter la subvention de l'ARS obtenue dans le cadre des investissements à la rénovation des établissements médico-sociaux. « Le projet de l'Ehpad a été jugé précurseur dans le Finistère, notamment parce qu'il propose une vision différente de l'accompagnement des personnes âgées », conclut Anna Edelmayer.
Vers la création d'un « parcours »
Sur le site de Plouguerneau, un projet de résidence autonomie est mené en parallèle, avec un changement d'affectation. Il pourrait accueillir des personnes vivant à domicile. « Nous nous laissons du temps de réflexion pour le site de Landéda, afin de lui trouver une vocation adaptée à notre projet global d'établissement ». L'objectif est de maintenir une continuité d'accompagnement et de donner vie à un parcours.