L'Observatoire national de l'Action sociale (ODAS) a présenté ce mardi 21 juin les résultats de son enquête annuelle sur les dépenses départementales d'action sociale de l'année 2015 pour la France métropolitaine.
Le système de solidarité français dans l'impasse
L'inquiétude est palpable car la situation des départements continue de se détériorer. En cause, l'augmentation croissante des dépenses d'aide sociale. Explications.
Un effet ciseau entre les dépenses et les recettes
On observe une croissance de la charge nette 2,5 fois plus rapide que l'évolution des recettes, la charge nette permettant de mesurer avec précision l'effort de financement des départements, explique Didier Lesueur, directeur général de l'ODAS.
En 2015, selon les chiffres de la Banque Postale, auteur de l'étude, la croissance des recettes s'élève à 1,5 %. Malgré les efforts réalisés, les recettes de l'Etat sont insuffisantes pour couvrir l'augmentation des dépenses d'action sociale. Non seulement c'est insuffisant, mais l'Etat réalise un effort d'un côté pour reprendre de l'autre. Diverses mesures ont en effet été prises, telles que le transfert des frais de gestion, de la taxe foncière, de la possibilité de moduler les droits de mutation (un avantage dont tous les départements se sont emparés). Elles ont rapporté 600 millions d'euros supplémentaires en 2015. Dans le même temps, l'Etat a prélevé 1,1 milliard sur la dotation globale de fonctionnement. Les recettes des départements ont donc diminué de 500 millions d'euros, commente Didier Lesueur.
Une augmentation des dépenses d'aide sociale
A cette baisse des recettes, il convient d'ajouter l'augmentation des dépenses et particulièrement l'augmentation des dépenses d'aide sociale aux effets variables.
En effet, la part des dépenses sociales sur les budgets départementaux augmente deux fois plus vite que les autres dépenses. Depuis 2010, on enregistre une augmentation de 25% des dépenses sociales alors que les autres dépenses départementales n'ont augmenté "que" de 11%. Cela explique pour Didier Lesueur que les départements, afin de financer leurs dépenses sociales, réduisent la voilure, voire abandonnent des dépenses hors champs social (diminution du soutien aux communes, révision des aides autour des cantines scolaires pour les collèges, réduction des aides aux associations ou dépenses de prévention...). La part des dépenses sociales représente 66% de l'ensemble des dépenses départementales.
La dépense nette de fonctionnement d'action sociale en 2015 s'élève à 36,1 milliards. Elle a augmenté de 3 % en un an, soit 1,1 milliard d'euros par rapport à 2014. Quant à la charge nette de fonctionnement, obtenue en déduisant de la dépense nette la contribution de la CNSA aux allocations de soutien à l'autonomie (APA et PCH), elle s'élève en 2015 à 28,3 milliards d'euros, soit 1,1 milliard de plus qu'en 2014.
Le RSA, des dépenses multipliées par 6
Le RSA ne pèse que 12 % dans le montant des charges en 2015. La part de l'hébergement quant à elle représente 43 %. Pourtant depuis 2009, on constate que le pourcentage d'évolution de la charge d'allocation que représente le RSA, a été multipliée par 6. Le reste à charge des départements, une fois que l'Etat a financé sa côte-part, est ainsi passé de 600 millions à 3,5 milliards en 6 ans alors que l'ensemble de toutes les charges de l'action sociale a augmenté d'un peu moins de 20%.
Le soutien aux personnes âgées dépendantes
L'APA représente 80% des prestations versées aux personnes âgées en perte d'autonomie, atteignant en 2015, 5,46 milliards d'euros. Les trois-quarts de cette charge sont assumés par les départements. On peut noter que la dépense nette atteint 70 milliards d'euros, le soutien de la CNSA restant stable (31%) et ce depuis maintenant plusieurs années. Dans ces conditions, la charge nette augmente de 1,2%.
Pour l'ODAS, cette question relève de la solidarité locale contrairement à la prise en charge du RSA, qui elle relève du national. Il lui semble donc normal que les départements assument les 3/4 des dépenses (APA et PCH).
La priorité affirmée du maintien à domicile ne se traduit pas encore dans les chiffres.
La dépense d'APA à domicile n'a augmenté que de 2,2% en 5 ans, le nombre de bénéficiaires ayant quant à lui légèrement diminué. En cause la limitation des plans d'aide qui peut, selon lanalyse de l'ODAS, avoir découragé des bénéficiaires d'en faire la demande, en particulier les moins dépendants.
On observe en revanche que l'APA en établissement a augmenté sur cette même période de 25 % et le nombre de bénéficiaires de 12,5 %. Cela représente une augmentation forte du nombre de bénéficiaires et du coût à la place.
L'autre façon de soutenir les personnes en établissement est d'accompagner les dispositifs d'aide sociale à l'hébergement pour les moins aisés. On peut s'interroger sur le fait que son nombre de bénéficiaires a en effet baissé et que l'augmentation de la dépense reste très faible.
Pour Claudine Padieu, directrice scientifique de l'ODAS, ces chiffres révèlent que les départements ont serré la vis à domicile. Dans la loi ASV, il est précisé que la conférence des financeurs doit mener et soutenir des actions de prévention. Comment peut elle le faire ? Avec quels fonds ? Par ailleurs, les dépenses de financement de l'APA en établissement, sont inflationnistes. Il faudra donc poser la question de la limite du maintien à domicile. La Loi ASV indique clairement que l'entrée en établissement correspond à la fin de vie. Or les 22% d'augmentation ne peuvent pas correspondre exclusivement à la fin de vie. Les ehpad devront se positionner différemment et probablement se reconvertir en milieux ouverts.
L'APA en établissement représente une dépense de 2,2 milliards d'euros pour les départements, l'ARS finançant pour la partie soins une enveloppe de 7,5 milliards d'euros, versée directement aux établissements. Il est urgent de remettre sur la table les dépenses globales, pour peut-être redistribuer les fonds différemment, ajoute Claudine Padieu. D'autant que l'APA est à la source de gisements d'emplois à domicile, précise Jean-Louis Sanchez. 1 euro d'APA produit 1,2 euros d'emploi.
Aujourd'hui ce qui semble réellement en cause pour l'ODAS, c'est notre modèle de société. La question d'un bénévolat généralisé est à soulever sur le modèle des pays anglo-saxons.
L'essentiel est de placer les départements dans une situation de proximité, pour leur permettre de réfléchir et de se concentrer sur des politiques locales d'insertion. Or la réflexion actuelle technocratise la décentralisation. La liberté et l'égalité ne seraient-elles pas l'affaire de l'Etat pour que la fraternité soit celle des collectivités locales ? Le débat est lancé.
Pour en savoir plus, consulter le site de l'ODAS