Les aidants informels, des pionniers de la société du soin
Les aidants informels, c'est-à-dire d'abord les aidantes puisqu'il s'agit de femmes dans 60 % des cas, forment une figure majeure de la société du soin.
Ces personnes assument une grande part du soutien et de l'attention auprès des plus fragiles, personnes vieillissantes, malades chroniques ou personnes en situation de désavantage. Les aidants bénéficient d'une bien faible reconnaissance sociale alors que leur rôle est essentiel. Pour autant, les choses évoluent. Ainsi, il n'est pas neutre de voir qu'aujourd'hui les professionnels de santé les considèrent comme de véritables partenaires de soins : c'est ce qu'affirment 70 % des aidants, selon les résultats du panel BVA/Fondation Novartis.
Les médecins et les personnels soignants n'ont plus le monopole de l'agir. Aujourd'hui, les aidants, les familles, les proches sont parties intégrantes du monde de la santé et du soin. On prend la mesure, enfin, de l'importance du milieu dans la situation de santé de la personne. Ces changements structurels se déroulent sur fond de croissance du nombre de personnes âgées, de chronocisation croissante des maladies, d'augmentation de l'espérance de vie des malades chroniques et des personnes en situation de handicap.
Il faut dire, aussi, que les aidants exercent une incroyable mission de service public à titre bénévole et sans grand secours de l'État. C'est un vrai et beau sujet politique : l'État qui recule partout laisse aux familles, à l'entourage, le "soin" de faire face à ces situations pénibles et délicates. Souvent à cet abandon, s'ajoute un discours moralisateur expliquant que c'est un devoir moral d'agir auprès du proche malade ou vieillissant. Cette situation est-elle "normale" ? Comment doit-on articuler solidarité de proximité et solidarité collective ?
L'accompagnement et le soutien aux aidants, relève de trois niveaux principaux d'intervention : les collectivités territoriales, l'entreprise et l'État.
Pour les collectivités territoriales, qui sont en situation de proximité, l'enjeu est de développer des structures et des moyens de soutien de proximité (lieux de répit, accueil de jour et de nuit), politique du baluchonnage mais aussi information et coordination, valorisation et formation, accompagnement (social et psychologique des aidants...) pour accompagner ces personnes.
Le monde des entreprises ne peut s'exonérer de la prise en compte des aidants. En effet, une grande partie de ces femmes et de ces hommes, 46 % exactement, exerce une activité professionnelle. Plus que d'assurer la conciliation vie d'aidant et vie professionnelle. Il faut penser en termes de prise en compte par les entreprises des contraintes et des apports des aidants. On ne sort pas indemne de cette expérience mais plus riches de connaissance, d'interrogations et d'attention aux autres. Cela implique que les entreprises prennent leur part : politique de sensibilisation de l'encadrement, formation et e-coaching, prise en compte de la situation pour faciliter les aménagements d'horaires et le passage à temps partiel...
Pour l'État, c'est la question du statut de l'aidant qui se pose. Faut-il professionnaliser ces bénévoles à travers un statut spécifique ? Par ailleurs ce statut conduit à une forme de contrat qui implique des engagements de part et d'autre, dont celui de suivre une formation et d'accepter une forme de soutien.
Mais au-delà de la problématique du statut, il s'agit aussi de développer des moyens et d'abord les filières d'aidants professionnels dans le domaine global du soin et, plus largement, du soutien aux personnes fragiles.
Répondre aux attentes des aidants, c'est aussi prendre en compte les familles, les personnes malades et vieillissantes et la communauté de soin. C'est un premier pas qui doit nous engager à penser une société de l'accompagnement de proximité centrée sur la prévention.
Enfin, il est passionnant de noter que la notion d'aidant, et leur implication et influence croissante, vient déconstruire le discours classique sur l'individualisme. La pression idéologique entendant réduire l'être humain à sa seule fonction de producteur et de consommateur, le discours normatif imposant la culture de la compétition et la recherche de l'intérêt personnel comme seul élément du lien social doivent rendre les armes devant la permanence des aidants informels. D'autant plus que dans 18 % des cas, ils soutiennent un proche avec lequel ils n'ont pas de liens institutionnels ou biologiques : cela prouve que le don reste un mode de relation à l'autre toujours vivant et actuel. Rendre plus visible et soutenir les aidants contribue à sortir de la spirale du déclin et du renoncement à la solidarité et permet de rêver à une société durable.
Serge Guérin
Professeur à L'ESG Management School
Vient de publier La nouvelle société des seniors, Michalon, 2011