Dans le n° 52-janvier 2015  -  Interview  4446

Les départements sont des acteurs majeurs de l'innovation

D'un côté le projet de loi NOTR (loi Nationale d'organisation territoriale de la République), de l'autre, le projet de loi d'adaptation de la société au vieillissement. De l'autre encore une population fragilisée croissante. Dans cet environnement en mutation, quels sont les places et rôles des départements ? Claudy Lebreton, président de l'ADF (Association des départements de France), apporte des éléments de réponse.

La situation financière de nombreux ménages se dégrade et les demandes d'aide sociale se multiplient. Comment les départements peuvent-ils répondre à cette demande croissante ?

L'action sociale et les prestations sociales (APA, PCH, RSA, aide sociale à l'hébergement des personnes âgées et des adultes handicapés) sont un droit du bénéficiaire. Dans ce cadre la société, l'Etat, incarnée par le département. Ceux-ci en sont des acteurs majeurs qui ne se contentent pas de verser une allocation, au contraire, ils développent autour des prestations sociales des politiques publiques assurant la cohésion sociale, développant l'aide technique, favorisant la diversification des types d'accompagnement. Riche d'une expertise reconnue, ils assurent ces missions en recherchant à intervenir sur les coûts à la journée des EHPAD et en accompagnant la professionnalisation du secteur pour assurer l'accessibilité et la qualité des services.

La véritable question qui se pose aujourd'hui n'est donc pas de savoir comment les départements vont répondre à cette demande. Ils y répondent déjà et continueront d'y répondre nécessairement. La problématique qui se pose est celle du financement et plus exactement de la compensation par l'Etat de ces dépenses de solidarité nationale, en particulier des allocations individuelles de solidarité (APA, PCH, RSA). Les départements, garant de ces prestations, investissent aujourd'hui une grande part de leurs budgets pour permettre de répondre aux besoins des citoyens alors même que l'Etat ne compense pas à 100% ce qui relève pourtant de la solidarité nationale.

Comment les départements pourront-ils continuer de financer le grand âge compte tenu de l'augmentation des soins nécessaires ?

La notion de soin a plusieurs facettes. D'ailleurs les anglais ont deux mots distincts pour appréhender cette notion : " cure " pour soigner et " care " pour prendre soins. Cette distinction doit être réalisée pour différencier ce qui relève ou non du financement par l'assurance maladie. Aujourd'hui compte tenu de la situation financière de plus en plus contrainte des collectivités et des départements, cette distinction est essentielle pour permettre d'optimiser les dépenses publiques des conseils généraux autour des champs d'intervention qui relèvent de leur compétence.

Les soins au sens de soigner relèvent de l'assurance maladie, en ce sens, dans les EHPAD, la médicalisation dite de " pathossification " doit être à la charge de l'assurance maladie et non de l'APA. Les personnes âgées restent des assurés sociaux et les prestations qui seraient financées par l'assurance maladie à domicile, en soins de ville ou à l'hôpital doivent également être pris en charge lorsqu'elles ont lieu dans les EHPAD afin de permettre aux départements de disposer pleinement de leurs moyens pour développer les politiques d'accompagnement et d'accueil.

Les représentants de l'ADF au conseil de la CNSA défendent cette position. C'est pourquoi ils contestent également que 54% de la contribution de solidarité pour l'autonomie (CSA) issu d'un jour férié et d'un jour de RTT travaillé, soient " distraits " au profit de dépenses d'assurance maladie au lieu de compenser l'APA et la PCH qui pèsent en effet de plus en plus lourd. L'ADF propose donc dans un premier temps de revenir au partage 50-50 qui était pratiqué dans les premières années de la CNSA. Enfin ils demandent que le budget de la CNSA cesse d'être la variable d'ajustement du budget de l'Etat et du budget de la sécurité sociale et permette aux départements de financer les prestations qu'ils délivrent.

On parle beaucoup d'Ehpad à domicile. Les départements vont-ils investir ce sujet ?

Les départements sont des acteurs majeurs de l'innovation. En ce sens ils ont la culture des politiques nouvelles dans l'ensemble des domaines dont ils ont la responsabilité. De fait, plusieurs départements expérimentent déjà l'Ehpad à domicile et l'ADF suit de près ces expérimentations qui pourront être modélisées et étendues si elles sont satisfaisantes pour les bénéficiaires. L'investissement sur ce sujet est donc réel, mais il ne se fait que dans une perspective de développement d'un service efficace et efficient.

Le principe d'un guichet unique est évoqué depuis longtemps. Qu'en est-il ?

L'ADF défend l'idée d'une transformation, d'un dépassement des MDPH actuelles en MDA qui intègreraient les CLIC avec des déclinaisons sur des territoires infra départementaux pertinents. Cette évolution doit permettre une approche plus cohérente de l'accessibilité qu'elle soit liée à un handicap, une perte d'autonomie ou au vieillissement.

La population des adultes handicapés vieillissants est en croissance. Quel rôle les départements entendent-ils tenir vis à vis d'eux ?

Face à cette croissance il sera nécessaire de faire évoluer et d'adapter les services existants. L'ADF propose par exemple un amendement au projet de loi d'adaptation de la société au vieillissement relatif à la création de plateformes coopératives de services qui permettraient de regrouper des structures déjà existantes et déjà financées, que ce soit celles relevant du code de l'action sociale et des familles (EHPAD, services aides à domicile) ou du code de la construction et de l'habitat (résidences sociales, etc.) pour leur permettre de mieux appréhender ensemble cet enjeu. Cet amendement propose la création de plateformes coopératives de services territorialisés pour les adultes en situation de handicap et les personnes âgées en perte d'autonomie.

Ces plateformes coopératives de services permettraient d'assurer la cohérence et la continuité des parcours de soins et des parcours résidentiels dans le cadre des parcours de vie, mais aussi de partager et mutualiser des approches et des services afin d'accroitre les capacités d'accompagnement. La volonté des départements et de répondre précisément aux différents besoins des citoyens sur leur territoire. Cette action de proximité est essentielle pour être pertinente, c'est l'ambition de cet amendement.

Les aidants sont plus de 8 millions en France. Il existe une grande disparité de leur prise en compte dans les départements. Comment harmoniser équitablement pour répondre à leurs attentes ?

C'est en effet une question importante. D'ailleurs dans le projet de refondation de l'aide à domicile, nous avons convenu avec les fédérations du secteur que l'aide aux aidants devait faire partie des missions d'intérêt général exercées par les services d'aide et d'accompagnement à domicile dans le cadre de leur CPOM avec les départements.

Le secteur de l'aide à domicile doit soutenir les aidants. Elle doit être la vigie pour alerter des difficultés qu'ils rencontrent : incapacité à réaliser certaines aides, accompagnement dans des apprentissages, vigilance sur les manifestations de fatigue et de démobilisation des aidants.

Nous sommes convaincus que l'équilibre entre le " tout aidant " familial ou familier comme les voisins et le " tout service " est impératif. Le " sur mesure " répondant aux spécificités des situations est bien plus efficace que le " prêt à porter ".

Quel est votre point de vue sur la loi d'adaptation de la société au vieillissement ?

Ce texte a été initialement issu en grande partie d'une négociation entre l'ADF et les ministres dans le cadre d'un groupe de travail spécifique. Après avoir été retirés en juin 2014, le Gouvernement a rétabli en première lecture à l'Assemblée Nationale les articles sur les MDA et la Gouvernance locale et nationale qui nous semblaient être au coeur de ce projet de loi. L'ADF s'en félicite, mais attend de ce texte qu'il puisse poser les bases d'une Gouvernance efficiente de ce secteur.

Pour autant ce projet manque encore un peu de souffle sur plusieurs sujets sur lesquels l'ADF a beaucoup travaillé avec des fédérations du secteur. C'est le cas pour la refondation de l'aide à domicile prestataire et les formules d'hébergement intermédiaires et innovantes. C'est également le cas sur la réforme des CPOM où l'on pourrait aller plus loin comme le mentionne le référé de la Cour des Comptes du 24 novembre 2014 qui reprend les propositions de l'ADF.

Quel est le programme de travail de l'ADF pour 2015 en matière médico-social ?

D'abord comme pour l'ensemble des compétences départementales, le débat sur le projet de loi NOTR sera un moment crucial. Les compétences sociales et médico-sociales des départements dans le projet de loi doivent pouvoir être clarifiées et renforcées conformément à la vocation de solidarité sociale de cette collectivité. Ensuite nous serons vigilants à l'examen du projet de loi d'adaptation de la société au vieillissement comme évoqué précédemment.

Enfin le projet de loi de Marisol Touraine sur la santé sera également un enjeu pour les départements notamment concernant la problématique de la PMI, l'articulation des politiques sociales départementales comme l'ASE et la pédopsychiatrie mais aussi l'insertion et la psychiatrie de secteur que l'Etat a négligé ces dernières décennies. Le programme de travail sera chargé dès début 2015 et ce d'autant plus que les conseils généraux seront appelés à se renouveler en mars.

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