Des baisses des dotations dépendance des EHPAD publics allant de 10 à 30% pour certains avec la mise en place du point GIR départemental ; des conseils départementaux qui incitent fortement les établissements à la déshabilitation à l'aide sociale... Les syndicats de directeurs de la fonction publique hospitalière dénoncent le "régime sec" qui s'annonce avec la mise en oeuvre de la réforme tarifaire. Le point avec le Syncass-CFDT, le CH-FO, le SMPS et l'Ufmict-CGT.
Les EHPAD publics à l'heure du "faire plus avec moins"
«?Il faudrait donc encore rogner sur les moyens, alors qu'on a déjà atteint l'os?»
Yvan Le Guen, permanent national D3S du Syncass-CFDT
«?Les départements regardent cette réforme comme une opportunité de réduire les dépenses grâce au point GIR départemental. Le Syncass-CFDT avait alerté afin que des garde-fous soient mis en place car les collectivités ont une autonomie de gestion dans l'allocation des crédits. On constate déjà des baisses des dotations dépendance de 10 à 30?%. En l'absence de marge de manoeuvre, et pour une section couvrant à 90?% des charges de personnel, la seule issue laissée aux directeurs est la contraction de la masse salariale et la diminution des effectifs. Il faudrait donc encore rogner sur les moyens, alors qu'on a déjà atteint l'os?! Certains collègues se sentent poussés de force vers une décision de n'être plus habilités que partiellement à l'aide sociale. Cela devient un élément de négociation dans le CPOM.
Mais la déshabilitation aura des conséquences fiscales et juridiques à moyen terme encore incertaines, notamment en cas d'engagements pris lors de la conclusion des prêts locatifs sociaux et de conventions avec les Préfets pour l'accession à l'APL, et alors que ce financement permet la mixité sociale, et réduit aussi les coûts de construction et de fonctionnement. Si on met en péril l'accessibilité financière des EHPAD publics, il y aura à terme des personnes âgées dépendantes qui resteront sans solution. Quel avenir pour nos établissements qui ont une mission de service public alors que les populations accueillies sont de plus en plus complexes, avec des états de santé plus dégradés, et que les attentes de la population augmentent en matière de qualité des prestations???»
«?Une privatisation du secteur public médico-social?»
Jean-Pierre Oulhen, réprésentant des D3S au CH-FO
«?Ça fait 20 ans que les EHPAD tous secteurs confondus dénoncent l'insuffisance des moyens. Les marges de manoeuvre ont été consommées. On est arrivés au bout de ce que l'on pouvait faire. L'absentéisme explose dans la fonction publique hospitalière à cause des conditions de travail de plus en plus difficiles. La qualité de l'accompagnement des résidents n'a pas de prix mais il a un coût. Plusieurs dispositions de cette réforme budgétaire ne visent pas à améliorer la qualité des prestations. Quand Marisol Touraine déclare que cette réforme permettra à 85?% des EHPAD de voir leurs moyens et leurs effectifs renforcés, on est en droit d'en douter. Il n'est pas certain que ce qui sera repris aux uns sera redonné aux autres. En revanche, il est certain que les EHPAD publics ne seront pas les gagnants alors qu'ils représentent entre 40 et 50?% des lits?! Cette réforme de la tarification a été faite pour donner les moyens aux conseils départementaux de se désengager. Le point GIR départemental est un outil pour maîtriser les dépenses. Certains conseils départementaux incitent fortement les EHPAD publics à la déshabilitation partielle, voire totale, à l'aide sociale. Cela revient à faire peser sur certains résidents, les «?payants?», le désengagement de l'État et des collectivités territoriales.
Les départements justifient la déshabilitation par des taux d'aidés sociaux généralement inférieurs à 50?% de la population accueillie dans les EHPAD publics. Sous couvert de cet argument "statistique", ils remettent en cause un des fondements du service public?: l'égalité de traitement de l'usager (à prestations identiques, tarification identique). Cette évolution s'apparente grandement à une privatisation du secteur public médico-social.?»
«?Les CPOM s'annoncent chronophages et mal dimensionnés?»
Frédéric Cecchin, vice-président D3S au SMPS
«?On veut aligner tous les établissements sur la même ligne. Or pour les enveloppes soins et dépendance, il faudrait analyser établissement par établissement. Les conditions de travail ne sont pas les mêmes dans un EHPAD de 80 lits sur trois étages et un EHPAD de 80 lits de plain-pied. Il faut mettre fin à la tarification ternaire avec des conseils départementaux et des agences régionales de santé qui se renvoient la balle.
Les premiers travaux relatifs aux CPOM médico-sociaux nous laissent craindre des outils chronophages et mal dimensionnés. Nous ne voulons pas de CPOM dans lesquels des objectifs innombrables seraient fixés aux établissements. Les objectifs doivent être limités en nombre, réalistes et atteignables. Les deux branches des CPOM, les objectifs et les moyens, doivent coexister et être adaptés aux réalités et aux besoins. Les CPOM ne doivent pas devenir comme cela a été le cas des conventions tripartites, des coquilles vidées de leur sens. Les objectifs sont opposables mais pas les moyens. Il nous faut éviter la même dérive que pour les CPOM en milieu hospitalier.?»
«?Il ne faudrait pas grand-chose de plus pour que la situation s'enflamme?»
Yves Richez, responsable du collectif des directeurs de l'Ufmict-CGT
«?C'est l'effet domino. Avec une baisse de plus de 11?milliards pour 2015/2017 de la Dotation Globale de Fonctionnement (DGF) que l'État verse aux collectivités et de la poursuite du plan ONDAM triennal d'économies de 3?milliards, les dotations aux établissements sont en sensible diminution. Comment peut-on demander aux EHPAD publics de faire plus avec moins?? On travaille déjà en effectif de grève, c'est à dire en effectif minimum?! Quelles solutions nous reste-t-il?? Recruter des emplois non statutaires, des contractuels?; faire faire des heures supplémentaires?; retarder les remplacements des départs à la retraite. Le climat social est déjà très tendu dans les établissements. Avec ces nouvelles pressions sur les budgets des établissements, et donc sur les dépenses de personnel, il ne faudrait pas grand-chose de plus pour que la situation s'enflamme. L'incitation à la déshabilitation sociale est devenue un moyen de pression sur nos collègues. Ce qui se profile pour nos établissements est tout simplement une prise en charge des résidents à deux vitesses. Or l'égalité de traitement des usagers est une valeur phare du secteur public. Les autorités de tutelle poussent les directeurs à faire une entorse à ce principe et à adopter des méthodes de gestion qui tendent vers celles du secteur commercial. La déshabilitation de certaines places est un cercle vicieux car si on augmente les tarifs des places, de plus en plus de personnes âgées n'auront plus les capacités contributives, compte tenu du niveau des retraites, de s'acquitter du reste à charge et vont basculer alors dans l'aide sociale.?»