Quand les départements toussent, les EHPAD s'enrhument. De nombreux conseils départementaux sont au bord du gouffre financier. Conséquence : une baisse des dotations pour les EHPAD actée lors des votes des budgets. Des restrictions qui menacent les emplois dans les structures et la qualité de l'accompagnement des résidents.
Les EHPAD, victimes collatérales de la crise budgétaire des départements
Cordon de policiers pour assurer la sécurité. Blocage des entrées. Échauffourées entre élus et manifestants. La séance de vote du budget du Conseil départemental des Deux-Sèvres, le 21 mars, a été très mouvementée à Niort. Et c'est peu dire. Initialement prévu le 7 mars, ce scrutin a été reporté après une forte mobilisation.
Salariés du département, directeurs et personnel d'EHPAD, familles et résidents et même représentants des associations à domicile sont venus, à nouveau, et en nombre - 350 manifestants - exprimer leur colère, à l'appel notamment des syndicats FO, CGT, CFDT. Le point de friction ? Un plafond moyen fixé pour l'évolution des budgets des EHPAD à 0,4%, soit une économie de 15 millions d'euros. « Selon le rapport même du Département, 40?% des EHPAD des Deux-Sèvres sont déjà déficitaires. Une hausse de 0,4%, c'est très largement insuffisant, ces économies vont entraîner des coupes dans des effectifs qui sont déjà à l'os », augure Joselyne Baussant, secrétaire départementale de l'union départementale FO.
Marges de manoeuvre inexistantes
Et ce vent d'austérité budgétaire ne souffle pas que sur les Deux-Sèvres. Pris en tenaille entre la chute vertigineuse de la Dotation globale de fonctionnement et l'explosion des dépenses de solidarité, nombre de conseils départementaux sont au bord de l'asphyxie financière et adoptent dans leur budget des plans d'économies drastiques. Les EHPAD - et le secteur de l'aide à domicile - subissent de plein fouet les dommages collatéraux. «Les taux directeurs fixés par les conseils départementaux pour couvrir l'évolution des besoins n'ont jamais été aussi faibles. De nombreux départements les ont fixés à 0% (par exemple la Vendée, le Maine-et-Loire, la Charente-Maritime, etc) ne couvrant même pas le glissement vieillesse technicité.», déplore la FNADEPA. Dans le Nord, la diminution des allocations forfaitaires est de - 3%. D'après les calculs de la Fédération hospitalière de France (FHF), 136 emplois seraient ainsi menacés. L'Aube opte pour une coupe de 15 millions d'euros dans son budget 2016. Dans les Alpes-Maritimes, l'augmentation de la tarification de la dépendance est de 0 %, pour la deuxième année consécutive. Une liste non exhaustive...
Du côté de l'Essonne, le bras de fer continue entre les fédérations du secteur et le conseil départemental qui a déclaré, fin 2015, être dans l'impossibilité de procéder au paiement de l'aide sociale légale pour une partie de l'année 2015 et a proposé un échelonnement de sa dette, estimée à 60 millions d'euros, sur six ans.
« Après plusieurs années de tours de vis budgétaires, les marges de manoeuvre sont désormais quasi-inexistantes. Les établissements doivent-ils réduire la facture de restauration, en supprimant fromage et dessert? Doivent-ils réduire leurs dépenses structurelles ou leurs dépenses de personnels alors que les établissements fonctionnent déjà à flux tendu ? », interroge la FNADEPA. Dans les Deux-Sèvres, la proposition du conseil départemental d'amputer de 30 % les crédits «animation » des établissements avait déclenché une levée de boucliers.
Un sentiment de perte de repères
Comment sortir alors de l'impasse ? En optant pour une déshabilitation partielle des places dédiées aux bénéficiaires de l'aide sociale. C'est le choix proposé voire le scenario imposé par certains départements aux EHPAD, pour retrouver une liberté de tarification de l'hébergement et ainsi équilibrer leurs comptes d'exploitation. On peut notamment cité le Nord, la Mayenne, la Sarthe... « Une vision à court terme », critique la FNADEPA, qui entrainerait « une libéralisation des tarifs des établissements, introduisant une sélection à l'entrée bien éloignée de la solidarité nationale.» La FNAPAEF redoute, elle aussi, « les conséquences lourdes » de ce choix sur le reste à charge : « les prêts consentis pour la construction et la restructuration seront à des taux plus élevés (pas de prêts bonifiés) et se répercuteront encore sur le tarif hébergement. »
Pour le CH-FO, syndicat de directeurs de la fonction publique hospitalière, c'est le sens même du métier de directeur d'EHPAD qui est menacé par cette tourmente financière. « Le directeur est aussi dépositaire d'une responsabilité pour garantir les missions de service public et d'accueil des personnes très souvent vulnérables. Il est aussi en charge d'animer et de piloter l'établissement en regard de valeurs essentielles. Les contraintes sont telles aujourd'hui que nombre de collègues manifestent leur sentiment d'une perte des repères dans l'action publique et leurs craintes face aux conséquences désastreuses de ces choix. » L'Etat saura-t-il réagir face à ce malaise grandissant dans les établissements ?